daniel
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Posté le: Sa 08 Avr 2023 7:57 Sujet du message: Découverte de la formation réticulée |
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Bonjour tout le monde !
Voici un article qui parle de pionniers de la neuroscience :
Magoun et Moruzzi : les explorateurs de la conscience
Jusqu'en 1949, on n'imaginait pas que la conscience était produite par le cerveau. Et puis, deux neuroanatomistes ont mis au jour une structure cérébrale qui semblait être à l'origine de cet état.
Le 30 août 1942, Stephen Ranson décède d'une thrombose coronarienne. Ce neuroanatomiste de renom, chef de file de l'école de neuroanatomie de Chicago à l'école de médecine de l'université Northwestern, laisse derrière lui de belles découvertes sur certaines zones du cerveau comme l'hypothalamus, et de jeunes collaborateurs qui occuperont des postes importants dans la recherche américaine.
Pour l'un d'entre eux, cette disparition a des conséquences particulièrement désagréables. Horace Magoun a 35 ans et doit quitter l'institut que dirigeait son maître, notamment la belle tour où il menait ses recherches. Il prend alors conscience des conditions de travail exceptionnelles dont il bénéficiait. Une prise de conscience qui sonne comme un présage de la suite de sa carrière. Car celle-ci sera justement consacrée à montrer comment le cerveau humain produit la conscience, les états d'éveil et de vigilance.
Voici le jeune Magoun privé de crédits, et sommé de s'installer au sous-sol du département d'anatomie. Là, sa seule compagnie est la présence d'ossements et de squelettes humains. Autant dire que pour lui, les perspectives ne sont guère réjouissantes. Et pour cause. À l'époque, il n'existe pas encore de financement réservé aux jeunes chercheurs.
Mais le destin va basculer, quoique sous une forme bien funeste. À cette époque éclate en effet une épidémie de poliomyélite qui contraint les autorités à créer un fonds spécial de recherche pour contrer ce fléau. On a noté, chez certaines victimes décédées de ce mal, des lésions de la partie inférieure du tronc cérébral, le bulbe rachidien. Un financement exceptionnel est alloué à qui détaillera l'anatomie de ces lésions. Et c'est Magoun, dans sa cave remplie d'ossements, qui se verra proposer de les examiner de plus près.
Des lésions localisées
Au cours de ces examens neuroanatomiques, Horace Magoun découvre que les lésions fatales se concentrent dans une région très peu connue du cerveau, la formation réticulée, située dans les profondeurs du tronc cérébral, à mi-chemin entre le cerveau lui-même et la moelle épinière. Une zone dont la fonction est restée jusqu'alors presque totalement inconnue. Il se demande alors si cette structure nerveuse pourrait être impliquée dans l'exécution des mouvements, ce qui expliquerait les séquelles motrices chez les patients atteints de poliomyélite. Le chercheur provoque alors de semblables lésions chez des rats de laboratoire, et il teste aussi l'effet inverse : des stimulations électriques de la formation réticulée qui, normalement, devraient provoquer des mouvements chez les animaux.
Mais à sa grande surprise, cette stimulation module certes (en les facilitant ou en les atténuant) les réactions motrices, mais sans les affecter directement. À vrai dire, tout se passe comme si elle agissait plutôt sur des circuits sensoriels, modifiant l'état d'éveil de l'animal et sa tendance à réagir aux stimuli.
En 1946, Magoun publie, avec une jeune collègue appelée Ruth Rhines, les résultats de ces études qui mettent en évidence deux circuits à l'intérieur de la formation réticulée : l'un facilite la réalisation des mouvements, et implique des voies nerveuses qui remontent des différentes parties du corps vers le cortex cérébral. L'autre est inhibiteur : il atténue la motricité et implique des voies nerveuses qui descendent de la formation réticulée vers la moelle épinière.
Mais l'aventure continue. Magoun souhaite caractériser le plus possible les nouvelles fonctions de cette structure anatomique. C'est ainsi qu'il entreprend d'étudier, en 1947, la façon dont une subdivision du cervelet (cette sorte de deuxième cerveau miniature situé en arrière du premier) module la transmission des informations motrices du cortex vers la moelle épinière. Car cette modulation, d'après lui, pourrait bien faire intervenir aussi la formation réticulée, qui se trouve sur le trajet...
Une équipe est née !
Mais la manipulation est délicate et nécessite des expertises de pointe. Pour cela, notre neurologue s'assure la collaboration de spécialistes de la stéréotaxie (l'art de repérer précisément les différentes structures du cerveau dans un référentiel à trois dimensions), de l'électrophysiologie (la mesure des courants électriques produits par les neurones au moyen de fines électrodes, mais aussi la stimulation électrique des neurones par ce même moyen) et de l'électroencéphalographie (la mesure des courants électriques apparaissant à la surface du scalp, comme la résultante de l'activité de masses de neurones). Son terrain de chasse favori est Chicago, et plus précisément l'Institut neuropsychiatrique de l'Illinois. C'est là qu'il fait la rencontre d'un jeune neurophysiologiste italien nommé Giuseppe Moruzzi.
Un gros coup de chance
Moruzzi a appris, au contact du physiologiste belge renommé Frédéric Bremer, une technique permettant de réaliser des sections du tronc cérébral chez des animaux de laboratoire. Et cette compétence sera précieuse dans les expériences qui se préparent.
Il va donc s'agir de tester le rôle de la formation réticulée dans le circuit mentionné plus haut et censé réguler les mouvements, entre le cortex, le cervelet et la moelle épinière. Magoun et Moruzzi stimulent la formation réticulée à l'aide d'électrodes, tout en mesurant les courants électriques produits à la surface du cortex des animaux, par la méthode d'électroencéphalographie que leur apporte Donald Lindsley, également recruté à l'institut neuropsychiatrique dans l'équipe très interdisciplinaire du jeune psychiatre, pionnier de la cybernétique, Warren McCulloch. Les trois hommes procèdent initialement sur des animaux faiblement anesthésiés. Lindsley constate que dans cet état de torpeur, leur cerveau produit des ondes synchrones, lentes et de grande amplitude, que l'on nomme ondes alpha. Ces ondes alpha sont, à cette époque, associées aux faibles états d'attention, par exemple lorsque l'on somnole. Or, au moment où Magoun et Moruzzi stimulent à l'aide d'une électrode une portion de la formation réticulée, ils voient disparaître les ondes alpha. Les activités électriques des neurones se désynchronisent, ce qui semble indiquer l'éveil d'un certain état attentionnel.
Par une chance inouïe, les chercheurs ont l'idée d'observer de plus près un tracé apparemment anodin. Ils ont alors la surprise de voir apparaître de petites ondes qui sont la marque de la conscience.
Simple anomalie, pensent les deux chercheurs – et ils n'y accordent initialement guère d'attention. Mais la chance frappe à leur porte. Lors d'une expérience de ce type, ils ont l'idée fortuite d'observer de plus près le tracé électroencéphalographique désynchronisé, qui présente de toutes petites oscillations plus brèves, plus rapides, et plus désordonnées. Ils tournent le bouton de l'amplificateur électronique pour vérifier l'allure de ces oscillations... et à leur immense surprise, ils observent au sein de cette activité désynchronisée une petite série d'ondes très rapides de faible amplitude. Un motif connu, repéré dès les années 1920 par le découvreur de l'électroencéphalographie Hans Berger, et appelé « motif d'éveil EEG ». Cette toute petite série d'ondes est depuis lors connue des spécialistes comme étant corrélée, chez les sujets humains, avec un état d'alerte et d'attention.
La conscience est ascendante, pas transcendante !
Magoun, Moruzzi et Lindsley comprennent alors que la stimulation de la formation réticulée provoque un état d'éveil général du cerveau. C'est comme si la conscience remontait du tronc cérébral vers le cortex. Ce qui vaudra à cette structure l'appellation de « système réticulaire activateur ascendant » .
La postérité de cette découverte sera à la fois profonde et durable. Tout d’abord, les chercheurs changent de point de vue sur les états d’anesthésie. Jusqu’alors, on pensait que l’anesthésie provoquée par des agents pharmacologiques résultait d’un blocage des afférences sensorielles comme la vue ou l’ouïe. Mais selon Magoun et Moruzzi, mais aussi le neurobiologiste québécois Herbert Jasper en 1949, le système réticulaire activateur ascendant représente une voie sensorielle secondaire responsable de l’état de veille et de l’état attentionnel, et c’est son inactivation qui provoque l’état comateux sous anesthésie.
Le système réticulaire ascendant, générateur de conscience.
Le système réticulaire ascendant, étudié par les chercheurs Horace Magoun et Giuseppe Moruzzi, se situe dans une partie de notre système nerveux appelé tronc cérébral. Cette structure, à mi-chemin entre le cerveau lui-même et notre moelle épinière, régule d'importantes fonctions autonomes comme la respiration, la déglutition ou... le degré d'éveil, de conscience et de vigilance. Magoun et Moruzzi ont découvert que l'activité de ce système réticulaire remonte de la formation réticulée jusqu'au cortex cérébral, en passant par une vingtaine de petits noyaux nerveux et notamment des structures comme le pont, le mésencéphale, l'hypothalamus et le thalamus. L'activité « ascendante » de ce système a finalement pour conséquence de rendre les neurones du cortex plus excitables et donc plus susceptibles de s'activer de façon synchrone, en assemblées représentant nos différents états mentaux conscients.
En 1953, un des plus importants congrès de neurosciences du XXe siècle, organisé au Canada par le Council for International Organisations of Medical Sciences, est largement consacré à cette structure cérébrale. De grands noms ont répondu présents, comme le britannique Edgar Adrian, prix Nobel en 1932 pour ses travaux sur l’activité des neurones sensoriels, Wilder Penfield, qui a cartographié les fonctions du cortex cérébral, Alfred Fessard, pionnier de la physiologie des neurones en France, ou Donald Hebb, fondateur d’une théorie sur le renforcement des synapses lors de l’apprentissage. Le concept de conscience a été choisi comme intitulé du colloque, et comme concept central des discussions. Dès cet instant, ce concept acquiert un statut scientifique nouveau et devient l’un des thèmes de recherche des neurosciences.
Vers les études modernes
Jusque dans les années 1960, les moyens techniques vont limiter les explorations des structures cérébrales impliquées dans l’état d’éveil et de conscience. Mais peu à peu, de nouvelles techniques neuroanatomiques apparaissent. Dans la revue Science sont publiées coup sur coup deux études en 1996, qui montrent que la stimulation de la formation réticulée facilite certains rythmes cérébraux, les ondes gamma, considérées comme essentielles pour unifier les différentes perceptions (sons, images, sensations) en une expérience consciente unifiée. On comprend aussi à cette époque que la formation réticulée n’est qu’un élément de ce qu’on appelle le système réticulaire activateur ascendant, ce dernier étant en réalité beaucoup plus complexe et plus diffus, comportant des voies neuronales issues de la partie supérieure du tronc cérébral (le mésencéphale et le pont), traversant le thalamus et l’hypothalamus, et principalement jusqu’au cortex préfrontal, utilisant comme neurotransmetteurs la dopamine, la noradrénaline, le glutamate, l’acétylcholine, la sérotonine ou l’histamine… Aujourd’hui, le système réticulaire activateur ascendant est visualisé grâce aux nouvelles techniques d’imagerie cérébrale, comme la high angular resolution diffusion imaging (HARDI), chez des patients atteints de lésions dans certaines de ses régions et qui présentent des troubles fonctionnels bien caractérisés, comme la négligence spatiale (un trouble qui conduit à ne pas percevoir consciemment une partie du champ visuel).
La formation réticulée « éveille » les neurones
Finalement, on considère aujourd'hui que l'état de vigilance chez l'homme dépend de l'activité du système réticulaire activateur ascendant, qui comporte les différentes zones précédemment citées.
Comment module-t-il les états de vigilance de notre cerveau ? Lorsque nous sommes éveillés et conscients, ce système cérébral facilite l'activation des neurones du cortex, lesquels deviendraient plus excitables et pourraient participer à la création d'états mentaux conscients. Quant à savoir exactement ce qui fait qu'une pensée précise devient consciente, et non une autre, certaines théories actuelles, comme celle de Stanislas Dehaene, font appel à la notion d'embrasement de l'activité des neurones. Le cortex serait le siège perpétuel d'une multitude d'activités neuronales en compétition les unes avec les autres, et certaines parviendraient à atteindre un seuil d'intensité suffisant pour provoquer un phénomène de réaction en chaîne, recrutant une multiplicité d'aires cérébrales pour former un état conscient. Dans la cave remplie d'ossements d'Horace Magoun s'écrivait donc une page essentielle de l'histoire des sciences de l'esprit. La première d'un long roman.
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