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Alain Cugno : l'intelligible inintelligibilité du mal

 
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joaquim
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MessagePosté le: Ve 22 Avr 2005 1:14    Sujet du message: Alain Cugno : l'intelligible inintelligibilité du mal Répondre en citant

Je vous livre tout chaud des extraits d’un ouvrage magnifique d'Alain Cugno que j’ai découvert aujourd'hui. Je ne vais presque rien ajouter à ces paroles qui se disent, je trouve, assez parfaitement, et qui deviennent ainsi, dans le sens qu’elles-mêmes donnent à ce terme, oeuvre d’art. Elles reprennent, sur un mode philosophieque, la plupart des thèmes abordés dans ce forum.

      «Le mal se réduit tout entier au désespoir d’être soi, au “refus” de s’ouvrir au don de l’origine dont la puissance est telle qu’elle est capable de rétablir le possible là où il a disparu. Dès lors, le malheur n’est que l’envers atroce du bonheur d’être soi. Il n’est d’autre mal que celui qui empêche une identité singulière d’être elle-même. Il n’est d’autre contraire du mal que l’affirmation de l’existence singulière.» p. 199


Il s’agit du désespoir au sens où l’entend Kierkegaard, celui de l’homme voulant “désespérément” être lui-même dans un sens absolu, et incapable d’y parvenir. Le mal est dès lors la signature de cette incapacité. Cette acception reprend la conception thomiste du mal comme privation, manque à être.

      «Le mal est rendu ici [chez Kierkegaard] totalement intelligible, puisqu’il se déploie dans l’horizon de l’esprit, et radicalement inintelligible, puisqu’il n’est rien d’autre que la fermeture de cet esprit à lui-même.» p. 199


Le mal est totalement intelligible, puisqu’il gît dans cette cassure interne de la conscience, dans la scission de la conscience en sujet connaissant et contenu objectif de la connaissance; or, cette scission (la scission sujet-objet) est la condition nécessaire à toute connaissance abstraite, et permet à celle-ci de se déployer “dans l’horizon de l’esprit”. Mais il est radicalement inintelligible, car “il n’est rien d’autre que la fermeture de cet esprit à lui-même”. Dès lors que le mal est compris comme l’incapacité de l’esprit à se saisir dans sa totalité absolue, il est radicalement inintelligible, puisque la possibilité de son intelligibilité radicale, autrement dit l'accession à la conscience absolue de soi, impliquerait sa disparition.

      «C’est pourtant bien cette thèse: nous ne commettons le mal que contre Dieu et contre nous-mêmes qu’il s’agit de défendre. En fait, son apparente injustice tient à trois oublis. Oubli de qui est Dieu, oubli de qui je suis, oubli de l’horizon dans lequel la chose doit être pensée. L’oubli de l’horizon résume en un sens tous les autres: il est constamment présupposé que l’enjeu est celui de la responsabilité, or ce n’est pas ce qui est à prendre en considération, ou du moins, pas de cette manière. La responsabilité qui permet de dire que le mal est commis contre un autre présuppose une lucidité chez celui qui commet le mal. Mais personne ne dispose d’une telle lucidité. (...) [Nous] saisissons en fait toujours la responsabilité d’un autre à notre égard, tant il est vrai que je puis facilement fantasmer la responsabilité d’un autre – que je perçois alors comme voulant le mal – et qu’il m’est pratiquement impossible de fantasmer ma responsabilité (...). Dans le cas où ma responsabilité est engagée, je n’arrive pas à m’approprier mon acte, je le perçois comme l’acte d’un autre immonde qui s’est substitué à moi et qui lui est coupable. Je n’étais plus moi-même, ce n’était pas moi qui agissais, je ne sais pas ce qui m’a pris. L’acte mauvais apparaît alors comme terrifiant, parce que rien en lui ne m’appartient et pourtant il est incroyablement facile à exécuter. Que ce soit moi qui l’exécute est proprement hallucinant. Tout ce que je puis faire, c’est accepter cette monstrueuse dichotomie et poser que je suis bien cet autre que je ne parviens pas à être». pp. 202-203


      «À partir de là il est possible de montrer que dans l’offense faite à autrui il n’y a en fait qu’une offense faite à Dieu et à soi-même. Cela se comprend par l’une des définitions du Dieu de Kierkegaard: celui qui disperse et isole. Dès lors , l’oubli de qui est Dieu est aussi bien l’oubli de qui je suis. (...) En effet, nulle relation à autrui ne peut se faire, sinon en tant qu’il est aussi singulier, c’est-à-dire aussi seul que moi. Mais comme ma solitude est en moi la présence même de Dieu, il n’y a pas de relation à autrui qui ne soit une relation à Dieu. Nulle relation à autrui ne se fait, sinon par l’infini qui est l’absolu. Aussi le principe de séparation est-il également le seul principe de relation. C’est pourquoi toute offense que je fais à autrui est d’abord une offense faite à moi-même. Le mal ne s’attaque jamais qu’à des individus dans leur solitude la plus extrême (c’est-à-dire dans leur réalité la plus extrême). Le mal que je fais à autrui est une atteinte portée à sa solitude, autrement dit à ma solitude, autrement dit encore, à Dieu.» pp. 206-207


      C’est «en laissant l’esprit seul aux prises avec lui-même que le mal devient à la fois transparent et définitivement opaque. Dieu opère son retrait, parce qu’il n’y a aucune familiarité entre l’homme et lui – si ce n’est illusoirement chez l’homme pécheur qui marchande avec Dieu et réellement avec l’homme de foi. Mais qu’en est-il de cette relation entre Dieu et le croyant? En quoi Dieu apparaît-il et joue-t-il un rôle dans les questions qui nous occupent? Uniquement en ceci qu’il est l’instance qui ouvre les possibles dans le monde et qu’il est l’objet de la foi. L’incognito de Dieu est essentiel aussi bien dans l’économie générale du désespoir (puisque l’homme doit échapper à la main de Dieu) que dans celle du salut, c’est-à-dire de la grâce qui seule peut ouvrir à la toute-puissance. Car la grâce se confond avec la foi. La grâce ne se surajoute pas à la foi, mais la constitue. Elle n’est en effet rien d’autre que la croyance dans l’ouverture des possibles. Strictement: rien n’est impossible à l’instance qui m’a posé dans l’existence. Elle ne peut que m’être infiniment favorable, puisqu’elle a pris soin de moi jusqu’à m’inventer, à condition que je la reconnaisse, qu’elle existe pour moi, que je croie en elle. Car croire en elle, c’est la loger très exactement dans la foi – mais la foi n’est que l’intelligibilité du passage à l’acte, le sens de(la sensibilité à) l’existence. Mais c’est précisément en logeant la grâce dans la foi, et par conséquent en y développant Dien, que l’incognito de Dieu devient Dieu lui-même.» p. 212


      «Mais c’est là où la circularité va apparaître, ce que la foi a à dire est que l’acte qui la constitue est la grâce, l’ouverture en elle d’une puissance qui n’est pas la sienne, mais celle de son origine, dans laquelle, rendue transparente à elle-même, elle plonge, pour devenir enfin le moi qu’elle est et échapper au mal qui l’étreint. Ainsi, dans le discours que la foi tient nécessairement, elle a à exprimer que son acte vient vers elle au moins autant qu’il procède d’elle. (...) Structurellement, donc, le pas en arrière de la foi à l’égard de sa propre expression fait partie de la foi. Sans lui, la foi n’est plus la foi, mais se dégrade en simple croyance sociologique qui ne prête pas attention à ce qu’elle dit, ou pire, en fanatisme. (...) A cet égard, le plus surprenant reste à venir. En effet, que la foi ne puisse se reconnaître jusqu’au bout dans aucun langage ne signifie pas qu’elle perde sa pointe et ne sache plus ce en quoi elle croit avec suffisamment de précision. Bien au contraire, ce qu’elle croit est bien plus précis que tout langage possible. C’est à ce titre qu’elle prend ses distances à l’égard du langage. (...) La précision du discours théologique est une figure de la précision de la foi, et non pas cette précision elle-même. “L’ineffable est donc, écrit en ce sens Stanislas Breton, simultanément ce qui contraint à dire et ce qui retient de dire. [...] L’imaginaire-rien sera dit Parole en tant qu’il fait parler. Il inclut ainsi la nécessité de parler et l’impossibilité de nous contenter d’une seule manière de parler. Par la même, il se présente comme l’infini de la parole.” La foi libère de toute parole. (...) [La] foi (l’intelligence de la volonté [cf la grille du savoir de Nayla Farouki]) ne peut s’engager que dans des pratiques précises, concrètes, déterminées, qui sont sa visibilité et qui pourtant ne l’épuise jamais.» pp. 215-216


      La question de l’art


      «Nous ne savons pas quelles questions et quelles difficultés les hommes qui ont peint les grottes de Lascaux s’efforçaient de résoudre. Nous ne les comprendrions peut-être même pas. Le saurions-nous que notre rapport aux oeuvres n’en serait pas profondément affecté (moins en tout cas que si, par exemple, il était avéré que ce sont des faix fabriqués au XXe siècle). Mais c’est bien parce que ces hommes s’affrontaient à quelque chose d’indicible que les oeuvres ont été produites, et qu’elles l’ont été ainsi. Il faut donc attendre de l’affrontement lui-même qu’il assure dans l’oeuvre son caractère transculturel et transhistorique. Il le fera d’autant mieux qu’il sera radical. Ou plutôt: l’affrontement à l’ultime seul, c’est-à-dire à l’impossibilité d’être soi, c’est-à-dire au mal, peut assurer à l’oeuvre le statut pérenne qui est le sien.» p 223


      «Car si l’oeuvre est une présence intense, une présence qui accomplit plus qu’aucun autre objet la présence, [c’est qu’elle] diffère sa présence et trouve son origine dans l’indétermination même qui la prépare. Autant dire que l’oeuvre se présente (...) comme la promesse de sa présence, c’est-à-dire comme sa propre possibilité plongeant dans la transparence de son origine qu’elle montre. Pure possibilité coïncidant avec la transparence de son origine, elle accomplit dans son ordre propre ce que le moi désespéré juge impossible: être soi, absolument. Au passage, nous pouvons répondre à une autre question laissée en suspens: toute oeuvre, qu’elle le représente ou non, manifeste qu’elle a surmonté le mal. La représentation du mal se trouve présente, et comme absorbée, en toute oeuvre. Il n’y a pas deux sortes d’art, l’un pour la paix, l’autre pour la guerre! La représentation possible des horreurs ne demande pas d’explication spéciale, elle relève du régime commun à toute oeuvre.» p. 229


      «Tout objet technique nécessite pour être fabriqué un savoir-faire. Celui-ci est d’abord étranger à l’apprenti, qui par la répétition des gestes l’intériorise sous la forme d’habitus. En apprenant à faire un mur, l’apprenti maçon intériorise ce qu’il mettra en oeuvre en tant qu’artisan. Dire qu’il connaît le métier veut dire qu’il peut monter un mur selon les règles de l’art. Devant l’oeuvre, en revanche, l’artiste n’est pas tout à fait dans la même situation. Qu’il le sache ou non, il ne produit pas un objet qu’il sait faire, mais justement ce qu’il ne sait pas faire, ce qui n’appartient pas à son habitus. Plus précisément, il apprend, pour une prochaine fois qui n’aura jamais lieu, à faire l’oeuvre qu’il n’a pas encore créée par les gestes qui lui donnent naissance. Il est en train d’apprendre à faire une oeuvre qu’il ne connaît pas autrement que par cet apprentissage. (...) Ce serait à peine métaphoriser que de dire que c’est l’oeuvre qui a l’initiative. Mais ce serait une métaphore. En réalité, chaque geste de l’artiste anticipe une oeuvre qui vient vers lui parce qu’il la suscite. C’est cette anticipation effectuée qui se donne à voir dans l’exposition, dans la manifestation de l’oeuvre. (...) C’est pourquoi la jouissance esthétique consiste à plonger dans la transparence de l’origine, puisque c’est exactement ce que montre l’oeuvre: aucune autre raison d’être qu’elle-même, aucune autre justification que d’être soi. Coïncidant avec son origine, se rendant absolument transparente à elle-même, l’oeuvre figure la chair, l’auto- affection s’éprouvant dans la présentation du monde, C’est pourquoi l’oeuvre peut être figurative. C’est l’énigme (souvent commentée) de Cézanne: “l’homme absent, mais tout entier dans le paysage”.» pp 232-234


      L’«acte de foi se présente, malgré l’unité qui est la sienne, d’une part comme acte, d’autre part comme pensée (représentation). Ce qu’il nous est demandé de conceptualiser, c’est l’unité d’un acte intelligible. Nous ne pouvons le faire qu’en décrivant côte à côte un acte absolument actif et par conséquent insaisissable dans une représentation et une pensée qui n’a pas d’autre expression précisément que cet acte. La difficulté atteint son point culminant lorsqu’on remarque que cela ne signifie pas autre chose, s’identifie totalement à: ce qui opère dans la singularité du moi n’est pas lui, mais l’origine dans laquelle la transparence de son acte lui permet de plonger. (...) Toute libération ne peut venir que d’un acte de compréhension par lequel se trouve instituée une instance tierce en qui avoir confiance – une compréhension qui est cette confiance même.» pp. 239-242


      «Nous ne dirons pas qu’il faut combattre pour le bien plutôt que contre le mal, car nous avons appris combien cette symétrie était fausse et reconduisant inlassablement dans les mêmes impasses morales que la lutte contre le mal. Qui est capable de dire ce qu’est le bien? Qui, voulant viser le bien, n’a pas déjà dit adieu à l’existence singulière qui pourrait bien être ce à quoi il est appelé ou n’a pas déjà envahi l’existence de l’autre pour le contraindre violemment à vivre comme il convient? Il en résulte une interdiction: ne jamais poser un bien suprême, car alors le Bien se trouve séparé du Mal – et tout devient Mal, car inaccessible, impensable, désespérant. Il faut se maintenir par-delà le bien et le mal. Car il n’y a pas de mal intrinsèque, pas plus qu’il n’y a de bien intrinsèque. La vie est heureusement plus intéressante que d’être simplement l’application de ce qui a été résolu une fois pour toutes hors d’elle-même, par quelque autorité que ce soit, y compris soi-même, d’ailleurs. Elle ne peut pas être survolée, il faut la parcourir pas à pas, passionnément, intensément, parce qu’elle n’est présente qu’aux actes qui la permettent. Mais le principe auquel les analyses qui précèdent se réfèrent est relativement clair: il n’est d’autre réponse au mal que d’ouvrir constamment les possibilités les plus riches et les plus intenses. Ce qui le cri de Job annonce, ce n’est pas la fin de ses souffrances, mais la découverte d’une toute-puissance que certes il ne possède pas, mais qui lui est entièrement favorable et qui multiplie les possibilités effectives de son existence. En bref: ce que tout cri de joie annonce, c’est une augmentation de la liberté, si l’on veut bien entendre par liberté la foi dans l’imminence du possible. De même que le contraire du péché n’est pas la vertu mais la foi, le contraire de la souffrance n’est pas l’indolore, mais la liberté.» pp 244-245


      «Penser, certes, c’est-à-dire élaborer les concepts les plus sophistiqués pour penser l’impensable. Mais à condition que ce soit dans l’ouverture de la pensée la plus active. Non pas qu’il soit question de poser un interdit: “Tu ne t’efforcera pas de pense le mal impensable”!. Mais il s’agit de reconnaître que la seule pensée accueillant réellement le mal en elle-même est celle qui, comme le rappelle d’ailleurs Paul Ricoeur, interdit de clore la logique du discours sur lui-même dans sa prétention à tout penser. (..) Une pensée qui croirait avoir triomphé du mal, l’avoir justifié d’une façon ou d’une autre, fût-ce en Dieu, signalerait simplement qu’elle s’est fermée à son origine et qu’elle est entrée en désespoir.» p. 245


      Amour et désespoir


      «Ceux que nous aimons, nous percevons en eux la toute-puissance qui les a inventés et n’en revenons pas. C’est pourquoi peu importe ce qui nous a conduits jusqu’à aimer, quelle prédisposition inconsciente, ou quelle expérience déterminante, le chemin s’efface totalement dans le lieu où il mène: la reconnaissance en quelqu’un qu’il est totalement lui-même. [cf. Hans Blüher: L’amour, organe de perception pour la personne] Non pas d’ailleurs que nous saisissions en quoi il a réussi à être véritablement lui-même pour lui-même. La Bien-Aimée, même désespérée, manifeste la possibilité inouïe d’être soi. Malheureuse et désespérée, elle nous apparaît encore comme plus heureuse d’avoir la chance d’être elle-même que n’importe quel être effectivement heureux. C’est la simple possibilité d’être soi qui se dévoile et qui du coup devient effective et ne saurait, sinon par une grande naïveté faussement sagace, être ramenée à une illusion. Non, effectivement, elle n’a pas plus qu’une autre. Mais qu’elle soit elle suffit aussi parfaitement qu’il suffit que je sois pour être moi. Ce qui en elle, exactement comme en l’oeuvre d’art, devient évident, c’est la possibilité d’être soi. C’est pourquoi il y a une grande parenté entre créer une oeuvre et simplement aimer.
      Mais il serait également illusoire de penser que cette reconnaissance puisse nous suffire. Nous ne pouvons pas nous passer de la réciprocité, parce que ce qui nous intéresse dans cette possibilité d’être soi, c’est d’être soi, c’est-à-dire moi. Il faut donner raison à Jean de la Croix: “L’âme amoureuse ne peut s’empêcher de désirer le loyer et le salaire de son amour pour lequel elle sert l’Ami, car autrement ce ne serait pas amour véritable.” Ce que nous attendons, c’est que la Bien-Aimée à son tour, reconnaissant en nous-mêmes la même présence de l’origine, nous délivre, ouvre en nous l’évidence de notre transparence et nous permette de plonger en elle jusqu’à notre origine. C’est comme si elle nous offrait la reconnaissance de nous-mêmes par notre origine, c’est-à-dire la possibilité d’être soi. C’est pourquoi l’apparition de la Bien-Aimée nous fait courir le plus grand risque: celui de révéler que nous ne sommes pas nous-mêmes. (...) Lorsque la Bien-Aimée manifeste son amour pour moi, alors j’échappe au désespoir, deviens moi-même et constate que je suis libre même à son égard. Si telle est la situation, alors dans l’amour véritable nous connaissons notre plus grande (et heureuse), qui nous livre à notre singularité. Il n’y a pas lieu de nous scandaliser ou de développer je ne sais quelle critique de l’amour et de la passion dont on dénoncerait le prétendu narcissisme. L’acte par lequel la Bien-Aimée nous délivre fonde notre indépendance et est aussi celui de la plus grande réciprocité. Car nous lui devons tout de ne rien lui devoir. C’est alors que nous pouvons faire affleurer sans doute la strate ultime de nos amours humaines: il n’est d’amour véritable et véritablement vécu qui ne maintienne constamment la plus grande liberté, c’est-à-dire la totalité des possibles, y compris de ne plus aimer, y compris d’aimer ailleurs.

      Mais alors, il faut conclure: la condition de possibilité de toute vie affective réelle est d’avoir consenti à ce que le désespoir d’être soi puisse se risquer aux événements et d’aimer ce risque. Pour pouvoir aimer, il faut d’abord avoir aimé le pur possible, et c’est encore lui que nous aimons en l’autre. Nous aimons donc d’abord sans aucun objet. (...)
      Il n’est pas d’amour véritable qui ne commence par ce geste de séduction orignaire par lequel nous acceptons de nous en remettre au hasard des possibles, d’aimer le rientoute relation est possible, c’est-à-dire reçoit sa validation.
      Puisqu’en cet acte seul la singularité est amenée jusqu’à sa transparence, il faut écrire que la seule ontologie capable de résister à l’épreuve de l’existence du mal est celle qui accepte de lire la toute-puissance dans l’extrême abandon. (...) C’est l’évidence d’être soi-même et pourtant incapable de se poser dans l’être qui donne accès au fond de toute réalité. Mais cette évidence se confond avec le simple fait de l’apparaître (quelque chose m’apparaît). Il est antérieur à toute question ontologique. Il précède et fonde la question prétendument la plus radicale: “Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas plutôt rien?” L’énigme absolument originaire par laquelle quelque chose m’apparaît est ce qui me pose dans l’existence et précède l’être lui-même. Ni le monde que je vois, ni moi-même ne pouvons prétendre être l’absolu. Mais que je voie, que ce soit moi qui voie, engage immédiatement la puissance de l’absolu.» pp. 261-265


      Alain CUGNO, L’Existence du mal, Le Seuil, coll. Points Essais, 2002.
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piotr



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MessagePosté le: Lu 27 Fév 2006 12:09    Sujet du message: big question ! Répondre en citant

le Mal ou le mal est-il une création de Dieu et externe à l'homme ou un choix délibéré de l'homme sans que l'on ait besoin de recourir à un être extérieur dénommé satanique ?

Le mal est-il un bien ?

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Invité






MessagePosté le: Lu 27 Fév 2006 20:57    Sujet du message: conscience et alterité Répondre en citant

cher piotr, le mal est-il un bien, oui. le bien est-il un mal,oui. cela depend de la façon de les comprendre et de les utiliser.Car le bien et le mal sont une meme chose qui ont pour but de disparaitre afin de porter l'etre plus haut.
neosileo.
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joaquim
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MessagePosté le: Me 01 Mars 2006 0:18    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour Piotr, et bienvenue. Smile

Maurice Zundel a dit de très belles choses sur le mal, mais je vais essayer d'aborder votre question sous un autre angle. Wink

Comment un Dieu bon peut-il avoir crée un monde dans lequel existe le mal? Cette question toute simple et toute naïve contient, me semble-t-il, deux incohérences. Si on entend par Dieu l’Être précédant toute Création, il ne saurait être qualifié de “bon”, ni recevoir aucune autre qualification. Seul ce qui est créé, ce qui “existe” (selon l’étymologie proposée par Heidegger: “existasthai”: se tenir en dehors), seul ce qui apparaît en tant que phénomène peut recevoir une forme et des qualités. En second lieu, du moment qu’un monde apparaît dans le temps et dans l’espace, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’il recèle l’imperfection et donc le mal. Un monde fait de temps et d’espace est un monde en devenir, autrement dit un monde dans lequel les corps qui le constituent passent d’un état à un autre. Or, si l’on définit le passage d’un certain état vers un autre comme une évolution vers le bien, ou vers une plus grande perfection, il en découle nécessairement que l’état antérieur était un mal relatif. Ainsi, dès lors qu’on suppose l’existence du bien, il n’y a pas lieu de s’étonner que le mal existe, puisqu’ils ne sont que les deux faces d’une même médaille. Si l’on supprime le mal, on est obligé, pour rester cohérent, de supprimer le couple bien/mal, et d’imaginer un monde dépourvu de dimension morale. C’est d’ailleurs tout-à-fait possible, et cela fut nécessairement le cas avant qu’arrive sur terre un être capable de faire la distinction entre le bien du mal — ou peut-être même de créer cette distinction...

La vraie question n’est donc pas: “Comment un Dieu bon peut-il créer un monde dans lequel existe le mal?” mais: “D’où est-ce que je tire l’idée que tel acte ou tel état serait bien, et tel autre mal?”. Eliminons d’emblée le cas de mal accidentel, inhérent à la notion d’organisme. En effet, dès le moment où existent des systèmes structurés et autonomes comme le sont les organismes vivants, tout élément qui réduit l’autonomie ou l’intégrité dudit système est “mal” au yeux de ce système: toute forme d’amputation, d’obstacle à la croissance ou à l’épanouissement, ou plus généralement toute entrave à l’exercice d’une quelconque fonction naturelle. Cela, c’est le mal que nous partageons avec la totalité du monde vivant, plantes et animaux. Ce qui distingue simplement la plante de l’animal, c’est que chez ce dernier, l’entrave à l’exercice d’une fonction naturelle s’accompagne de douleur, laquelle prend ainsi pour les êtres sensibles valeur de signature du mal.

Un être vivant, plante ou animal, ne souffre que lorsqu’un élément nécessaire à son intégrité ou à son autonomie lui fait défaut. L’être humain, lui, partage bien sûr avec ses frères inférieurs ces caractéristiques-là, mais il est encore affecté d’un autre type de manque: un manque qui se manifeste même lorsqu’il ne manque de rien, même lorsque rien n’ampute son intégrité ou ne limite son autonomie. L’être humain est en effet habité de désirs, qui sont sans rapport direct avec les besoins de son organisme, et qui lui causent de la souffrance tant qu’ils ne sont pas rassasiés. Il possède ainsi en lui une machine infatigable à produire du manque. Une machine qui aiguise sans cesse sa conscience du manque, et qui a certainement étroitement maille à partir avec cette autre propriété humaine: la conscience de soi. La conscience de soi radicalise en effet le manque esquissé par le désir: ce n’est plus tel ou tel objet qui me manque, mais c’est tout ce qui n’est pas moi qui me manque. Je suis coupé, comme si j’étais dans une cage de verre (cf. ici), de tout ce que ma conscience perçoit, et me retrouve ainsi isolé en moi-même, manquant de tout le reste. Isolé en moi-même, enfermé dans ma propre solitude. Et, comble de cruauté, privé même de moi-même: l’intégralité du contenu de ma conscience est en effet intégralement produit par un monde qui m'est extérieur (l’intérieur de mon corps avec toutes les sensations qu’il génère fait lui aussi partie de cet “extérieur” de ma soi-conscience, de même que les pensées qui “me viennent” de je ne sais où). Nulle part, dans ma conscience, je ne trouve “je”. “Je” donne sa couleur à tout ce qui peuple ma conscience, mais jamais il ne devient lui-même un objet dans ma conscience. Je me retrouve ainsi, en tant que soi conscient, frappé d’un manque - donc d’un mal - radical: je suis privé de tout, aussi bien de moi-même que du monde extérieur. Ce “mal” est d’ailleurs si radical qu’on ne peut plus raisonnablement l’appeler “mal”, car il n’a aucun “bien” avec quoi il puisse établir une relation d'opposition: il est à la fois total, et inexistant. Total, tant que je crois être quelqu’un, tant que je m’attache au monde vide que je suis, et inexistant dès lors que lâche l’illusion que je crois être. Ce “mal” ne peut être tempéré par aucun “bien”, il ne peut qu’être reconnu comme inexistant. Le faire, c'est retourner au Créateur.
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barnabe



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MessagePosté le: Me 01 Mars 2006 8:47    Sujet du message: Répondre en citant

(quand)
je ne suis Rien ...
Rien ne se passe ..

l'Un est en tout ...
tout est Un ..

en profondeur, chaque facette de l'Un est précieux !...

chaque être, chaque chose, chaque désir, chaque objet, à chaque fois ce qui est ressenti ...
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piotr



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MessagePosté le: Me 01 Mars 2006 19:54    Sujet du message: coucou Répondre en citant

en fait le bien ou le mal ne sont que des jugements que nous portons sur des expériences en fonction d'un système de valeurs ... valeurs qui ne sont pas universelles car elles dépendant d'une culture.
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barnabe



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MessagePosté le: Je 02 Mars 2006 7:42    Sujet du message: Répondre en citant

joaquim a écrit:


j'adhère tout-à-fait à ce qui est exposé ici, j'ajouterai même, qu'à mon avis, lorsque l'enfant de quelques ans prend conscience de soi, du même coup, il se pourrait même, qu'il prenne aussi conscience de sa fragilité en tant qu'être qui tout à coup, voit naitre en lui une toute puissance et, en même temps, une toute impuissance par rapport à cette part de lui-même (devenu extérieur) sur laquelle il n'a plus prise, qu'en pensez-vous ? Rolling Eyes
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