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Spinoza : le questionnement comme acte créatif

 
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Philart
Invité





MessagePosté le: Ma 19 Juil 2005 15:41    Sujet du message: peinture Répondre en citant

De Philart à : Quelles modifications, l'individu, l'homme (corps et âme), s'il en est ainsi, peut-il provoquer par un acte créatif dans l'ordre du monde spinoziste ? Si cela est, sont-elles envisageables comme catalyseur d'une pensée émergente ou/et comme récepteur d'une pensée latente ? Sachant qu' : <<Il n'est rien donné de contingent dans la nature, mais tout y est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister et à produire quelque effet d'une certaine manière.>>Proposition XXIX Ethique Spinoza 57 G. Flammarion.
Il me semble que la réponse est dans le questionnement. D'ailleurs, il ne peut en être autrement. De ce fait, la puissance de pensée de Spinoza est de toujours faire émerger une pensée qui n'est que le relai d'une autre.
De Philart.
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joaquim
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MessagePosté le: Ma 19 Juil 2005 20:16    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour Philart, et bienvenue Smile

Vous avez raison. On ne peut rien ajouter de substantiel au monde, car tout est déjà. Spinoza a une vision parménidienne du monde, basée sur la prémisse: l’Être est, le non-Être n’est pas, et il la pousse jusque dans ses dernières conséquences. Si vous cherchez une argumentation basée sur une connaissance profonde de la pensée de Spinoza, vous la trouverez plutôt sur le site Spinozaetnous (qui est en passant un modèle de rigueur et de pertinence), par exemple dans cet article: http://spinozaetnous.org/ftopicp-1807.html#1807 .

Du point de vue de la problématique de l’éveil et de la position ambiguë de la conscience déchirée entre l’éternité de l’être et la finitude du devenir, je dirais qu’il y a acte créateur lorsque le devenir devient transparent à l’être, c’est-à-dire lorsque la personne incarnée dans le devenir se fait transparente à l’être qu’elle est. Le problème de la création est intimement lié à celui de la liberté, à tel point qu’il me semblent ne former qu’un seul et même problème. On n’est pas libre lorsqu’on exprime les déterminismes qui nous constituent, mais lorsqu’on se fait transparent pour laisser à travers soi s’exprimer la nécessité qui nous transcende. A ce titre, l’oeuvre d’art la plus réussie, c’est une vie qui se fait transparente à l’être, qui n’offre aucune opacité à ce qui est. Et c’est la plus libre aussi. L’opacité provient du non-être, de ce que l’on croit être et qui n’a aucune réalité substantielle: notre conscience de soi, qui n’est qu’une pure image, formée à partir du regard d’autrui, c’est-à-dire à partir d’un jeu de miroir entre des consciences virtuelles qui se réfléchissent mutuellement. Cf. La naissance de la tragédie: http://www.cafe-eveil.org/forum/ftopic47.html .

Le questionnement, quant à lui, n’oppose aucune opacité à l’être, au contraire, il invite celui-ci dans le devenir, et à ce titre je pense bien comme vous qu'il mérite seul le nom d’acte créateur.

Je suis la question dont Dieu est la réponse. En tant que question, je m'efface devant la présence de Dieu, puisqu'elle me résout. Ce n'est qu'en n'étant rien de plus qu'un question que je ne prend pas d'épaisseur qui ferait de l'ombre à la présence de Dieu.


Dernière édition par joaquim le Me 20 Juil 2005 6:18; édité 2 fois
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joaquim
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MessagePosté le: Ma 19 Juil 2005 21:53    Sujet du message: Répondre en citant

En fait, en y réfléchissant mieux, celui qui aurait atteint une totale transparence envers l’être ne ressentirait plus le besoin de créer une oeuvre d’art. L’oeuvre d’art naît d’un manque; mais elle devient oeuvre d’art non pas en exprimant ce manque — il n’est là que pour obliger l’artiste à se mettre en route — mais en exprimant sa propre réalité à travers l’artiste, et le plus souvent malgré lui, au-delà de ce qu’il voulait dire. Comme le dit si bien Gide: “si nous savons ce que nous voulions dire, nous ne savons pas si nous ne disions que cela. — On dit toujours plus que CELA. — Et ce qui surtout m’y intéresse, c’est ce que j’y ai mis sans le savoir, — cette part d’inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu. — Un livre est toujours une collaboration, et tant plus le livre vaut-il, que plus la part du scribe y est petite, que plus l’accueil de Dieu sera grand.” (cf. http://www.cafe-eveil.org/forum/viewtopic.php?p=79#79 )

C’est exactement la même démarche que l’éveil: peu importent les raisons pour lesquelles on se met en route, ce n'est de toute manière pas le but qu'elles poursuivent qui compte: c'est ce qu'on devient soi-même à travers cette démarche, ce soi qu'on a toujours été mais qu'on ne se découvre être que lorsqu'on le devient activement.
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aksysmundi



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Messages: 238

MessagePosté le: Me 20 Juil 2005 11:01    Sujet du message: Répondre en citant

Permettez moi de mettre en exergue ces propos.

joaquim a écrit:
Je suis la question dont Dieu est la réponse. En tant que question, je m'efface devant la présence de Dieu, puisqu'elle me résout. Ce n'est qu'en n'étant rien de plus qu'un question que je ne prend pas d'épaisseur qui ferait de l'ombre à la présence de Dieu.
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Philart



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MessagePosté le: Sa 06 Août 2005 18:42    Sujet du message: Spînoza : Le questionnement comme acte créatif. Répondre en citant

De philart : Le 06/08/2005
Réponse à Joaquim

Bonjour Joachim,

Oui, artiste, je suis devenu transparent, parce que je ne produis plus, je suis invisible à la postérité. Cependant, ce que je produisais était matière en-soi. Matière transformée, matière d'un devenir artistique, matière de la pensée qui s'offre à l'habileté du donné à faire de mieux en mieux, matière d'intention, matière sans aucun repentir. Tout en produisant avec beaucoup d'intensité, j'étais déjà transparent, je n'existais qu'en pensée face à l'œuvre, face à ma propre confrontation ; cette déliquescence intellectuelle qui fait de l'exécuteur de l'art un porte-parole de la réflexion humaine. Si l'artiste est esclave ou enchaîné et subit en puissance son manque à être, ce qu'il produit provoque un "donné à contempler" et sert non pas de faire valoir à ce qui nous enveloppe, mais bien, de puissance en acte d'un devenir à prendre acte de sa libération. Cette virtualité comme mouvance intellectuelle offre en temps et en durée ce qui est le propre de nous-même. Elle s'approprie l'espace de notre entendement. Il serait aisé de dire que l'art n'a d'autre fonction que de ne pas être nihiliste, puisqu'il est représentation de notre intériorité au travers de l'œuvre accomplie. C'est toute la puissance humaine qui peut être confondue à la toute puissance divine ; en disant cela, il me semble que nous sommes bien en accord avec une pensée spinoziste. Mais alors, quel tracé Spinoza a-t-il ouvert dans le champ de la philosophie ? De quel apport scientifique, dû à sa contemporanéité, a-t-il su prendre conscience pour produire, (créée ou/et non-créée) une œuvre, dont l'immanence de Dieu : cette "Nature Naturante" et "Nature Naturée", s'oppose aux concepts philosophiques tellement attachés à la transcendance ? Ainsi, nous devons constater, aujourd'hui, que nous sommes toujours intéressés par sa pensée tellement dérangeante ? C'est ce dont Deleuze nous fait part chez Spinoza, de ce rapport entre une ontologie et une éthique. Il ajoute, de surcroît, que c'est la voie spinoziste. Spinoza nous dit encore : <<par Dieu, j'entends un être absolument infini, c'est-à-dire une substance consistant en une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie>>. dans la première partie, de Dieu, définitions, en VI. "Éthique" la Pléïade. À son tour, Charles Ramond dans le vocabulaire de Spinoza nous dit : <<la grande difficulté du spinozisme comme philosophie de l'immanence est de concevoir à la fois la distinction la plus claire entre <<Nature Naturante>> et <<Nature Naturée>> (puisque les caractéristiques des attributs et celles des modes s'opposent terme à terme), et en même temps leur fusion complète (puisqu'il n'y a aucune transcendance de la <<Nature Naturante>> par rapport à la <<Nature Naturée>>). Spinoza parle en termes de <<Nature Naturante>>, de <<Nature Naturée>>, et de <<causalité>>, précisément pour ne pas parler en terme de <<Créateur>>, de <<Créature>> et de <<création>>. Charles Ramond ajoute plus en avant : La <<cause de soi>>, la <<nature>> qui est <<Dieu>>, la <<substance>> sont autant de noms d'un monde intégralement pourvu de raison, et dépourvus de sens. La parenté profonde entre le rationalisme le plus absolu et un certain sentiment de l'absurde explique sans doute la fortune du spinozisme dans la modernité. Chez Spinoza, il semble bien que la création divine est en nous et se produit en permanence. Elle est toujours virtuelle et gagne en puissance dans notre devenir. Il nous dit, dans "Les pensées métaphysiques de la pléiade et à la page 287 : <<Il n'y avait ni temps ni durée avant la création. – 4° Enfin, avant la création, nous ne pouvons imaginer aucun temps et aucune durée ; le temps et la durée ont commencé avec les choses. Car le temps est la mesure de la durée ou plutôt il n'est rien qu'un mode de penser. Il ne présuppose donc pas seulement une chose créée quelconque, mais avant tout des hommes qui pensent. Quant à la durée, elle cesse où les choses créées commencent d'être ; je dis les choses créées, car nulle durée n'appartient à Dieu, mais seulement l'éternité, nous l'avons montré plus haut avec suffisamment d'évidence. La durée suppose donc avant elle ou au moins implique les choses créées. Ceux qui imaginent la durée et le temps avant les choses créées sont victimes du même préjugé que ceux qui imaginent un espace par delà la matière, comme il est assez évident par soi. Voilà pour la définition de création.
Alors, sans s'écarter ou trahir la pensée d'un monde spinoziste, je pense que l'homme peut créer et produire des œuvres parce qu'il est opaque et transparent ; catalyseur d'une pensée émergente et récepteur d'une pensée latente et c'est bien son rôle d'artiste. Pourquoi ne pas le nommer ainsi dans notre société. L'éveil est aussi le propre de l'Homme.

De philart


Dernière édition par Philart le Sa 13 Août 2005 0:09; édité 1 fois
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joaquim
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MessagePosté le: Lu 08 Août 2005 18:01    Sujet du message: Répondre en citant

philart a écrit:
Alors, sans s'écarter ou trahir la pensée d'un monde spinoziste, je pense que l'homme peut créer et produire des œuvres parce qu'il est opaque et transparent

J’ai l’impression que vous exprimez sous une forme philosophique cette phrase de Braque que lune avait cité dans un autre post: “La peinture, c'est de la douleur qui devient lumière.”

J’aimerais citer ici un court extrait de la thèse de François Darbois sur Maurice Zundel:

«Ainsi l’œuvre d’art est une matière libérée du chaos impersonnel. Elle dit quelque chose ou plutôt Quelqu’un qui la dépasse. Elle est médiatrice d’une expérience où l’homme se libère de sa part nocturne pour naître à son être de lumière. “Tous les artistes qui ont fait quelque chose de grand avouent qu’ils y sont parvenus quand ce n’était plus eux, quand ils n’ont fait qu’obéir, en s’identifiant au mystère de la Source.” Aucune œuvre n’épuisera sans doute la Beauté “sans forme et sans figure”. Les créations artistiques “ne font que recueillir dans l’ébauche des corps, l’élan du génie tendu déjà vers d’autres créations.… L’art fait concourir à leur élévation réciproque les mystérieuses fiançailles de la matière et de l’esprit, en les orientant l’un et l’autre vers la Source éternelle à laquelle tout est suspendu.”»
source: http://mauricezundel.free.fr/these-fd/1.5.4art.htm


philart a écrit:
(...) une œuvre, dont l'immanence de Dieu : cette "Nature Naturante" et "Nature Naturée", s'oppose aux concepts philosophiques tellement attachés à la transcendance

Dieu est immanent à la Nature, et il est immanent à notre nature, qui est le Soi, car l’une et l’autre se résument en l’Être; mais il est transcendant à notre ego, puisque celui-ci n’a pas de substance, qu’il est pure virtualité, non-être. L’accession à nous-même par l’éveil implique de transcender cette image de soi, l’ego, à quoi nous nous identifions, pour devenir l’être dont il est l’image. En tant qu’image, nous disparaissons dans cette opération, et pourtant nous ne nous perdons pas, car par elle nous accédons véritablement à notre être. Comme vous le dites, si l’artiste subit son manque-à-être, ce qu'il produit provoque un “donné à contempler”, il fait apparaître de l’être jusqu’alors masqué par son non-être, il accepte dans la douleur son manque-à-être et conduit celui-ci jusqu’à l’être, et par cet acte il se libère.
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Philart



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MessagePosté le: Ve 12 Août 2005 10:00    Sujet du message: Spinoza : le questionnement comme acte créatif Répondre en citant

De philart le 12/08/2005
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Philart



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MessagePosté le: Di 21 Août 2005 18:00    Sujet du message: Spinoza : le questionnement comme acte créatif Répondre en citant

Du 19/08/05 au 20/08/2005 puis du 21/08/2005.
De philart : Atelier de Bacon et autre…

De Sartre : "La réalité-humaine est souffrante dans son être, parce qu'elle surgit à l'être comme perpétuellement hantée par une totalité qu'elle est sans pouvoir l'être, puisque justement elle ne pourrait atteindre l'en-soi sans se perdre comme pour-soi. Elle est donc par nature conscience malheureuse, sans dépassement possible de l'état de malheur.".
Gallimard, Tel, 1943. L'être et le néant, p.126
On souffre et on souffre de ne pas souffrir assez. La souffrance dont nous parlons n'est jamais tout à fait celle que nous ressentons. Ce que nous appelons la <<belle>> ou la p. 128. <<bonne>> ou la <<vraie>> souffrance que nous émeut , c'est la souffrance que nous lisons sur le visage des autres, mieux encore sur les portraits, sur la face d'une statue, sur un masque tragique. C'est une souffrance qui a de l'être.
Gallimard, Tel, 1943. L'être et le néant, p. 127 et P. 128

De philart : Cette "souffrance" que rapporte le pêcheur, une fois de retour dans son port d'amarrage, quand il étale sur le quai les poissons, toutes espèces confondues, après ses prises au filet en mer. Ces brillances encore agitées de quelques soubresauts vont bientôt s'étouffer, mourir, perdre leur éclat pour se ternir définitivement puis se putréfier, passage de la vie à la mort, cycle nécessaire de l'immanence pour le religieux. Disposés à même le sol, ces animaux aquatiques sortis de leur milieu naturel tout aussi cruel sont comparables aux images imprimées répandues sur le parquet du 7 Peece Mews à Londres dans l'atelier de Bacon, où il semble que rien n'est identifiable autrement que par la cruauté qui s'apparente à l'immonde : la cause de cet agencement, de ce chaos provoqué, par qui ? Mais, par Bacon le décorateur, certainement ! Mais, aussi par ce besoin de rendre compte après la mort de ce dévastateur, cette fois le peintre qui de son environnement créatif, là où les photographies témoignent de cet héritage, de ses sources nauséabondes. Par sa volonté Bacon a utilisé la plasticité de la matière dans ses étalements d'épaisseurs colorées jusqu'à ce qu'elle devienne de la chair à tableaux. C'est ainsi, miraculeusement que le pêcheur a multiplié les poissons dépourvus d'âme pour les laisser là tel quel et partir avec ses disciples pour prendre d'autres sortes de prises : les hommes.

La Bible de Jérusalem. Desclée de Brouwer. De l'Évangile selon saint Luc
II Mt 4 18-22 II Mc 1 16-20 (5, 4) Appel des quatre premiers disciples :
4. Quand il (Jésus) eut cessé de parler, il dit à Simon : " Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche." 5. Simon répondit : "Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre. Mais sur ta parole, je vais lâcher les filets. " 6. Et l'ayant fait, ils capturèrent une grande multitude de poissons, et leurs filets se rompaient. 7. Ils firent signe alors à leurs associés qui étaient dans l'autre barque de venir à leur aide. Ils vinrent et l'on remplit les deux barques, au point qu'elles s'enfonçaient. 8. À cette vue Simon - Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant : <<Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pêcheur !>> 9. La frayeur en effet l'avait envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause du coup de filet qu'il venait de faire ; 10. parallèlement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. Mais Jésus dit à Simon : " Sois sans crainte ; désormais, ce sont des hommes que tu prendras." 11. En ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent."


De philart : Quant à Bacon, il a dû se servir de la fange, des vomissures de l'histoire, de la crasse, que la société occidentale a, au cours de millénaires, mais surtout, depuis ses nouvelles technologies de l'ère industrielle, produit en un peu plus d'un centenaire sur le globe terrestre. En pêcheur, il a expié les fautes de l'humanité en un acte rédempteur. Il a porté, à bout de bras, jusqu'à l'avant-scène de sa passion de triptyques en triptyques l'agonie de la chair de ses amours et de ses tourments sacrilèges. Il s'est mis en croix, au pilori du bovin que le bourreau a divisé en deux parties symétriques pour qu'on découvre, une fois les entrailles évacuées l'intériorité physique de l'animal, comme Rembrandt avait pu le peindre avant lui. Cette micro déchetterie nous accuse, nous met dans l'obligation de culpabiliser rétrospectivement. Les usines, les fabriques d'armes plus meurtrières les unes que les autres, n'ont pas cessé de déverser à une échelle géologique dans un ciel serein l'oxyde de carbone. Sur terre où les génocides, les assassinats, la mort du prochain comme celle d'un Jugement Dernier perpétuel, d'un Saint-Jean de misère se poursuivent sans relâche de l'infiniment petit à l'infiniment grand. La mer, la terre, le ciel et même l'univers, si possible, sont les poubelles de nos civilisations. Bacon se complaisait dans sa dramaturgie, "sa souffrance" , penserez-vous Joaquim, "son mal-être" aurait probablement dit Sartre, qui par un détour phénoménologique introduisait avec l'existentialisme un personnage de fiction qui se laisse tomber sur un banc dans un jardin public, et qui prend conscience qu'il est racine, arbre… L'art peut-être n'est que cela pour le peintre de l'immanence, de la putréfaction à répandre sur une surface sensible, la toile, haut lieu des affrontements et des débordements du créateur. Il en est de même pour la littérature et de toutes les autres formes d'art.

De Jean-Paul Sartre, La Nausée, Gallimard ; folio, 1938, pp.180-182 :
"À présent, je me reconnais, je sais où je suis : je suis au Jardin public. Je me laisse tomber sur un banc entre les grands troncs noirs, entre les mains noires et noueuses qui se tendent vers le ciel. Un arbre gratte la terre sous mes pieds d’un sombre noir. Je voudrais tant me laisser aller, m’oublier, dormir. Mais je ne peux pas, je suffoque : l’existence me pénètre de partout, par les yeux, par le nez, par la bouche...
Et tout d’un coup, d’un seul coup, le voile se déchire, l'ai compris, j’ai vu.
6 heures du soir.
Je ne peux pas dire que je me sente allégé ni content ; au contraire, ça m’écrase. Seulement mon but est atteint : je sais ce que je voulais savoir ; tout ce qui m’est arrivé depuis le mois de janvier, je l’ai compris. La Nausée ne m’a pas quitté et je ne crois pas qu’elle me quittera de sitôt ; mais je ne la subis plus, ce n’est plus une maladie ni une quinte passagère : c’est moi.
Donc, j’étais tout à l’heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination.
Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire “exister”. J’étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux “la mer est verte; ce point blanc, là-haut, c’est une mouette”, mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une “mouette-existante”; à l’ordinaire l’existence se cache. Elle est là, autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d’elle et, finalement, on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut croire que je ne pensais à rien, j’avais la tête vide, ou tout juste un mot dans la tête, le mot “être”. Ou alors, je pensais... comment dire ? Je pensais l’“appartenance”, je me disais que la mer appartenait à la classe des objets verts ou que le vert faisait partie des qualités de la mer.Même quand je regardais les choses, j’étais à cent lieues de songer qu’elles existaient : elles m’apparaissaient comme un décor. Je les prenais dans mes mains, elles me servaient d’outils, je prévoyais leurs résistances. Mais tout ça se passait à la surface. Si l’on m’avait demandé ce que c’était l’existence, j’aurais répondu de bonne foi que ça n’était rien, tout juste une forme vide qui venait s’ajouter aux choses du dehors, sans rien changer à leur nature. Et puis voilà : tout d’un coup, c’était là, c’était clair comme le jour : l’existence s’était soudain dévoilée. Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite : c’était la pâte même des choses, cette racine était pétrie dans l’existence. Ou plutôt la racine, les grilles du jardin, le banc : la diversité des choses, leur individualité n’était qu’une apparence, un vernis. Ce vernis avait fondu, il restait des masses monstrueuses et molles, en désordre – nues, d’une effrayante et obscène nudité."

De philart : dans les deux cas les deux œuvres, qu'elles soient d'une part picturale ou d'autre part littéraire, prennent leur source dans le même imaginaire, dans une même intériorité de l'ego. La beauté s'érige dans le pire de l'immanence, l'humilité le lui convient. Quant au dépassement de soi, si la sublimation n'en est que le seul désir, il n'y a plus d'art possible, en tant que tel si ce n'est qu'un transfert d'un mode à un autre. C'est la leçon de Kant dans la Faculté de Juger. Le sublime ne sert que d'accès à la spiritualité, à la foi que l'homme a dans la connaissance de Dieu. Le sublime n'est que subjectivité de la pensée et il correspond à la transcendance. Cet "Ailleurs" s'introduit par la subjectivité. C'est comme la foi, rien ne peut et ne doit être vérifiable. Le tout, consiste à y croire pour l'avoir ; dans le cas contraire rien n'est possible en ce sens.

De Bergson L'Evolution créatrice, Chap. IV ("L'existence et le néant"), P.U.F. Quadrige .Grands textes, p. 275 : Les philosophes ne se sont guère occupés de l'idée de néant. Et pourtant elle est souvent le ressort caché, l'invisible moteur de la pensée philosophique. Dès le premier éveil de la réflexion, c'est elle qui pousse en avant, droit sous le regard de la conscience, les problèmes angoissants, les questions qu'on ne peut fixer sans être pris de vertige. Je n'ai pas plutôt commencé à philosopher que je me demande pourquoi j'existe ; et, quand je me suis rendu compte de la solidarité qui me lie au reste de l'univers, la difficulté n'est que reculée, je veux savoir pourquoi l'univers existe ; et, si je rattache l'univers à un Principe immanent ou transcendant qui le supporte ou qui le crée, ma pensée ne se repose dans ce principe que pour quelques instants ; le même problème se pose, cette fois dans toute son ampleur et sa généralité ; d'où vient, comment comprendre que quelque chose existe ?

Joaquim vous citez Zundel :

http://mauricezundel.free.fr/these-fd/1.5.4art.htm

De philart : L'art n'est surtout pas une fuite. Le Beau ne doit pas masquer la réalité de ce monde. Le Beau produit le malheur des vivants quand il devient un objectif majeur. L'art ne doit pas être un aveuglement. Quels que soient les points de vue, des divergences de pensées, l'art s'érige dans ce contexte sans artifice, sans duperie, sans être "un instrument de salut de l'Ailleurs". L'art est en nous, pour nous parce qu'il n'a aucune autre dimension possible. En cela, il est vecteur et catalyseur et ne peut prétendre aucune passation puisqu'il nous permet de prendre conscience de ce qui nous entoure, sans pour cela n'être qu'imitation. Ainsi il est création d'une intériorité : notre ego. C'est celui de l'artiste que nous pouvons être par l'éveil d'un propre devenir partagé : l'en-soi des autres. Il est là, dans toute sa présence, dans toute sa gloire. Il s'offre sans aucune retenue à sa représentation. Si cette représentation est prétexte à le sublimer, ce n'est que pour mieux rebondir sur son être. Et, être en mesure de proposer dans sa réalisation scénique "l'Ailleurs", seulement cela. Les religions savent trop bien ce que veut dire le mot idolâtrie. Il y va de la mystification et non plus la sincérité du mystique. Quant à ce qu'il évoque, là c'est l'affaire de chacun de nous. Il y va de milliards d'interprétations possibles. Ainsi, et c'est toujours la même difficulté que l'artiste rencontre sur sa trajectoire de production : c'est cette prise en main, cette dépossession systématique d'intentionnalité de son art en tant que tel. Un artiste n'est pas en mesure d'expliquer son art, tout comme un mystique sa foi. Je ne dis pas qu'il ne peut-être les deux, mais, ce que je tiens à préciser : c'est ce manque à être de l'art, encore une fois, en tant que tel. L'art comme entité, l'art comme outil révélateur de soi et des autres en nous-mêmes. Que l'art puisse susciter l'éveil, je l'accepte tout autant. Mais l'éveil ne doit aucunement susciter l'Art. Car l'Art n'aurait plus de raison d'être. Il serait Autre : Dieu. L'art est le propre de l'homme sans aucune autre dimension que celle d'être en nous ; pour le croyant en Dieu, pour le non croyant en l'homme uniquement. J'apprécie Plotin, parce qu'il a ouvert une brèche dans le monde des Idées de Platon, elle annonce Spinoza d'une certaine manière par une pré-immanence des choses. Bergson envisageant une nouvelle métaphysique, Deleuze tout comme Guattari s'en séparent par un travail de déconstruction où l'identité du sujet est mise en pièce.

Et si je renvoie aux sujets que vous avez déjà traités en :
http://www.cafe-eveil.org/forum/ftopic47.html

De philart : Donc, pour accéder à l'atelier de Bacon, il faut monter un escalier, s'arrêter sur un petit palier, attendre que la porte s'ouvre sur l'intériorité de l'artiste. Dans ce micro espace de la création. L'Univers est là a porté de main. L'abject du refoulement est abandonné là, pêle-mêle. Il est à fouler, à piétiner et surtout à déplacer de la pointe du pied, pour être mieux saisi par le pouce et l'index qui par un acte de prédation de Bacon qui, de son vivant, évaluait artistiquement puis visait et enfin saisissait la photographie choisie pour la présenter à sa vue. Ainsi, à partir de ses peintures, la représentation de la chair tête, thème récurant psychanalytique, grande ouverte comme une bouche, celle d'un nourrisson issu d'un Munch, hurlant de désespoir, agonisant par la faim qui le rend victime dans le Monde, dans l'Univers, à cause de la Mère nourricière disparue. Cet "autre" lacanien, qui ainsi s'éveille à sa propre dimension de vie : le "petit a". Cependant, que dire s'il sait, ce nouveau en vie que jamais il ne sera rassasié parce qu'il est né au mauvais endroit, sur une terre de non partage, de différences qui font que certains peuvent se gaver et d'autres mourir par la famine. Ce qui est jeté en pâture est appelé à disparaître englouti par le manque à être. Curieusement, ces bouches sont pourvues de dents aciérées. Cet effacement de soi que vous présentez, non pas comme une absence en soi, mais comme un devenir de transparence qui permet de se sublimer afin de connaître la vraie connaissance intérieure. Celle qui conduit en un seul lieu ; celui du divin. Celui de l'absence d'être homme de vie. Celui de l'Unique. Alors, que dire des religions monothéistes qui ont la même recherche spirituelle, que dire de cette construction mentale qui fait que les hommes ou femmes, un par un ou, une par une, sont en mesure de penser le même Dieu, alors que nous savons parfaitement que chacun d'eux façonne son propre désir d'être en soi comme soi : l'ego. Évidemment la réponse s'effectue par la multiplicité, la surabondance de la substance. Ce qui nous conduit à constater qu'il y a encore, de nos jours, plusieurs religions monothéistes. Et puis si je me réfère à la philosophie, qu'en sera-t-il du Dieu de Spinoza, comparé à celui de Leibniz, de Kant, de Bergson et des penseurs qui ne sont pas issus de la culture judéo-chrétienne et qui une fois passés les frontières occidentales constituent notre monde contemporain, celui de notre histoire, celui de notre devenir.

http://users.skynet.be/reves/lacan.htm
Et si je renvoie aux sujets que vous avez déjà traités en :
http://www.cafe-eveil.org/forum/ftopic47.html

De philart.

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joaquim
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MessagePosté le: Je 01 Sep 2005 21:18    Sujet du message: Répondre en citant

Philart a écrit:
Quels que soient les points de vue, des divergences de pensées, l'art s'érige dans ce contexte sans artifice, sans duperie, sans être "un instrument de salut de l'Ailleurs". L'art est en nous, pour nous parce qu'il n'a aucune autre dimension possible.

(...)

Un artiste n'est pas en mesure d'expliquer son art, tout comme un mystique sa foi. Je ne dis pas qu'il ne peut-être les deux, mais, ce que je tiens à préciser : c'est ce manque à être de l'art, encore une fois, en tant que tel. L'art comme entité, l'art comme outil révélateur de soi et des autres en nous-mêmes. Que l'art puisse susciter l'éveil, je l'accepte tout autant. Mais l'éveil ne doit aucunement susciter l'Art. Car l'Art n'aurait plus de raison d'être. (...) L'art est le propre de l'homme sans aucune autre dimension que celle d'être en nous


Je partage tout-à-fait votre point de vue quant à l’irréductibilité de l’art à toute pensée prédatrice qui prétendrait s’en emparer ou à un but “supérieur” qui prétendrait l'asservir. L'art n'est au service de rien d'autre que de lui-même. L’art exige que l’artiste se soumette à ce qu’il a à exprimer. L’art est humilité face à ce qui est, au même titre que la science. Chacune dans son domaine: l’homme de science (au contraire du technicien) ne cherche pas à mettre la nature à son service, il l’interroge, et écoute, en silence, pour ne pas la troubler, ce qu’elle dit. Ce qu’il désire se tait devant ce qu’elle manifeste. L’artiste fait de même face à ce qui parle en lui. Il ne s’en empare pas, il ne le force pas, sous peine de le dénaturer, il s’en fait vecteur. Il peut l'exprimer dans mille formes différentes, dont chacune n'est de l'art que si la volonté de dire laisse le pas à la nécessité de ce qui se dit. J’aime beaucoup ces phrases de Proust:

«Une oeuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix. Encore cette dernière ne fait-elle qu’une valeur qu’au contraire, en littérature, le raisonnement logique diminue. On raisonne, c’est-à-dire on vagabonde, chaque fois qu’on n’a pas la force de s’astreindre à faire passer une impression par tous les états successifs qui aboutiront à sa fixation, à l’expression.» Le Temps Retrouvé, folio, p. 189.

L’artiste est le serviteur de ce qu’il a à dire. Et ce qu’il a à dire, il ne saurait le dire autrement qu’à travers l’art. La forme est essentielle dans l’art, car c’est elle qui accouche du contenu. Un contenu qui adhère si parfaitement à la forme qu'il ne saurait être exprimé d'aucune autre manière. L’art est expression de soi parce que le soi s’y exprime sans se posséder, parce qu’il se plie à la nécessité de la forme, et que l’expression aboutie naît de son humilité face à ce qui l’habite.

J’aime aussi ces mots d’Alain Cugno, que j’ai cités ailleurs:

«Nous ne savons pas quelles questions et quelles difficultés les hommes qui ont peint les grottes de Lascaux s’efforçaient de résoudre. Nous ne les comprendrions peut-être même pas. Le saurions-nous que notre rapport aux oeuvres n’en serait pas profondément affecté (moins en tout cas que si, par exemple, il était avéré que ce sont des faux fabriqués au XXe siècle). Mais c’est bien parce que ces hommes s’affrontaient à quelque chose d’indicible que les oeuvres ont été produites, et qu’elles l’ont été ainsi. Il faut donc attendre de l’affrontement lui-même qu’il assure dans l’oeuvre son caractère transculturel et transhistorique.

Pure possibilité coïncidant avec la transparence de son origine, [l’oeuvre] accomplit dans son ordre propre ce que le moi désespéré juge impossible: être soi, absolument.»


Je pense que toute forme d'expression qui veut être elle-même réalité doit tendre à cette exigence de désappropriation de soi et d'humilité face à l'être qui est le propre de l'art. C’est ce que j’entendais dans ce post:

joaquim a écrit:
On a trop facilement tendance à penser que ce que l’on dit serait plus important que la manière dont on le dit, que le fond compterait plus que la forme. Or, comme je vous l’ai dit, je pense qu’il n’en est rien, et qu’à l’exception de la simple transmission d’information, c’est le contraire qui est vrai: la forme compte beaucoup plus que le fond. Le fond, c’est ce qu’on veut dire, c’est le message qu’on veut faire passer, mais c’est cela justement qui est éminemment expression de l'ego. Au contraire, ne pas vouloir à tout prix faire passer un message, mais aider ce qui remue en soi à trouver la forme qui lui convienne, faire confiance à ce qui grandit en soi sans chercher à le forcer à tout prix; laisser les choses, les faits, les mots, les couleurs, les sons, se dire, s’astreindre à ne pas les contraindre mais leur permettre de délivrer leur message, c’est de la science, de la littérature, de la peinture ou de la musique. Tout le reste n’est que gribouillis, bruits et bavardage. A moins, comme je vous le disais, que ce bavardage se mette au service d’un art plus haut: la construction d’une relation personnelle. Mais alors, il ne s’agirait plus de dire des choses, mais de se dire, de se dévoiler dans une relation de personne à personne.
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Philart



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MessagePosté le: Ve 16 Sep 2005 8:30    Sujet du message: Le récit du peintre Répondre en citant

De philart le 16/09/2005

p. 547

Spinoza, Baruch

La Pléiade

L'Éthique

Proposition LXVII

L'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est non une méditation de la mort, mais de la vie1.

1. p.547 — On oppose souvent cette formule à l'idée de Socrate selon laquelle la philosophie est la préparation à la mort. Mais c'est surtout au christianisme que Spinoza s'oppose. << Un chrétien n'est jamais vivant sur terre >>, dit Bossuet.

Quand Joaquim dit : << L’artiste est le serviteur de ce qu’il a à dire. Et ce qu’il a à dire, il ne saurait le dire autrement qu’à travers l’art. La forme est essentielle dans l’art, car c’est elle qui accouche du contenu. Un contenu qui adhère si parfaitement à la forme qu'il ne saurait être exprimé d'aucune autre manière. L’art est expression de soi parce que le soi s’y exprime sans se posséder, parce qu’il se plie à la nécessité de la forme, et que l’expression aboutie naît de son humilité face à ce qui l’habite. >>

De philart

— il me semble que vous dites implicitement que l'artiste est créé et de ce fait, il est en mesure de le faire aussi. Pour cela faut-il qu'il en soit capable. Nous revenons directement à cette transparence que vous m'aviez évoquée précédemment, peut-être comme un éternel retour. C'est la forme d'humilité qui sert de révélateur au catalyseur qu'est l'artiste comme pour le mystique qui est vecteur de la transparence ; c'est-à-dire la foi.

Serait-ce ce que vous mentionnez Joaquim dans une autre réflexion : << A moins, comme je vous le disais, que ce bavardage se mette au service d’un art plus haut : la construction d’une relation personnelle. Mais alors, il ne s’agirait plus de dire des choses, mais de se dire, de se dévoiler dans une relation de personne à personne.>>

Spinoza, Baruch

p. 550

Proposition LXXI

Seuls les hommes libres sont très reconnaissants les uns envers les autres.


De philart

Le questionnement comme acte créatif prend-il le pas sur Spinoza ? Qu'en est-il de l'infini dans le fini ?



p. 581

Spinoza, Baruch

Proposition XXIII

L'esprit humain ne peut être absolument détruit avec le corps, mais il en subsiste quelque chose qui est éternel.


De philart

— Braque repose à Varengeville - sur - Mer, la vue sur la Manche, en surplomb, fait rêver à tout jamais quand le regard s'inscrit dans la pensée, dans le souvenir, dans le "Temps retrouvé" que ce soit Proust ou Spinoza : la mort comme passation, la mort en soi pour se réaliser. Ce peu ou ce beaucoup de nous-même qui reste pour accomplir tout ce qui est en nous de notre vivant et pour se hisser au stade supérieur que vous pourriez nommer la forme, la relation de personne à personne : le fini dans l'infini.


Spinoza, Baruch

p. 580

Proposition XXI

L'esprit ne peut rien imaginer et ne peut se souvenir des choses passées que pendant la durée du corps.

p. 596

scolie

J'en ai ainsi terminé avec tout ce que je voulais montrer concernant la puissance de l'esprit sur les sentiments et concernant la liberté de l'esprit. Ainsi voit-on combien le Sage est supérieur, combien plus puissant que l'ignorant qui est poussé par ses seuls penchants. Car l'ignorant, outre qu'il est poussé de mille façons par les causes extérieures et ne possède jamais la vraie satisfaction de l'âme (animi), vit en outre presque inconscient de lui-même, de Dieu et des choses1, et sitôt qu'il cesse de pâtir, il cesse aussi d'être. Au contraire, le sage, — considéré comme tel, — dont l'âme s'émeut à peine, mais qui, par une certaine nécessité éternelle, est conscient de lui-même, de Dieu et des choses, ne cesse jamais d'être, mais possède toujours la vraie satisfaction de l'âme. Si, il est vrai, que la voie que je viens d'indiquer paraît très ardue, on peut cependant la trouver. Et cela certes doit être ardu, qui se trouve si rarement. Car comment serait-il possible, si le salut était là, à notre portée et qu'on pût le trouver sans grande peine, qu'il fût négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est très précieux est aussi difficile que rare.

1. p. 596 — Avoir conscience de soi c'est donc aussi avoir conscience de Dieu et des choses en Dieu ( ou mieux : des choses qui d'une certaine manière — quatenus — sont Dieu ).


De philart

— Dans la grotte de Lascaux, que ce soit sous la directive d'observations de l'Abbé Breuil ou de Leroi-Gourhan, il est intéressant de réfléchir sur le morceau de corde retrouvé lors des fouilles. Elle avait servi, très certainement à lier une partie d'échafaudage, un fragment de la technique du possible de l'invention humaine. Pour cela, le végétal devait pousser à proximité de cette grotte. De même, la terre réduite en poudre, qu'elle soit ocre rouge ou jaune comme les autres pigments nécessaires à la coloration, était soufflée sur les aspérités de la roche en suivant le tracé du dessin qui, à son tour, servait de support accidenté pour reproduire le monde animal dont le contour avait été noirci. Si le froid régnait, la vie pariétale enveloppait ces hommes préhistoriques. La science accompagnée des techniques s'accordait en un même élan créatif pour que l'art émerge.


philart avait écrit ultérieurement quand il peignait encore :

— J’avais commencé à peindre une toile posée contre le mur de mon atelier.

— Il s'agissait de la mer, celle de mes peurs enfantines, quand on me parlait de conquérants qui partaient sur les flots pour subir mille tracas.

— Beaucoup de ces navigateurs disparaissaient, se noyaient.

— L’inspiration m’était venue comme ça, sans difficulté. Il ne s’agissait pas de représenter de manière réaliste la houle mais, de traduire les sensations éprouvées à cause de cette immense masse liquide mouvante qui, en fonction des vents, des particularités atmosphériques et géologiques provoquaient des changements, rapides et importants.

— J’aurais voulu exprimer, par des couleurs et des traits appropriés les forces en opposition ou complémentaires, les ondes qui se propageaient, les sons qui dans les eaux profondes différaient de ceux qui circulaient dans l’atmosphère.

— La Vie aquatique du plancton ou du phytoplancton en suspension pouvait correspondre à des échelles variables de couleurs du domaine des particules et de la réflexion provoquée par la lumière réfléchie à partir des fonds benthiques en contribuant à la photogenèse.

— La science me provoquait par sa matérialité.

— Ce que je m'appliquais à révéler par un acte pictural et créateur n’était qu’une illusion d’ordre scientifique,

— Cependant, je les superposais ces aplats picturaux car ils devaient se fondre les uns dans les autres jusqu'à révéler l'artistique par ces apports de tons, progressivement, très lentement ; celui de la durée nécessaire au séchage pour atteindre une harmonie plastique.

— L'Art était-il enveloppé, ou était-ce moi qui agissais ainsi ?

— L'idée première m'obligeait à penser à des courbures, à des mouvances.

— J'affirmerais : à de la représentation géométrique animée ; une sorte d'art cinétique

— Mais comme mes tons étaient chimiques, que ce soient les bleus, les verts, dociles ils se laissaient étaler par des couches successives.

— Je ne pouvais cependant qu'exécuter une peinture de chevalet, bien que d'un format assurément important, excessivement surdimensionné.

— Vous rendez-vous compte, je devais faire entrer "l'immensité" dans l'atelier du peintre que j'étais alors.

— Chose étrange, plus je m’appliquais à procéder de la sorte, plus les couleurs choisies de cette mer devenaient rouges comme du sang.

— En même temps, mes jambes s’allongeaient en s’enfonçant avec le sol qui descendait, descendait, tout doucement sans discontinuer depuis mille ans.

— Devrais-je faire l'aveu que j’avais commencé cette œuvre un peu avant l’an mille.

— Il est important d'ajouter à ce récit, une chose étrange : l’eau de la toile, je devrais dire le sang versé par les sacrifices du Minotaure Antique, coulait sur le sol de mon espace créatif.

— Si bien que je ne savais pas si le plancher se dérobait sous le poids du liquide ou si nous grandissions ensemble.

— Dans le premier cas, mes pieds et la suite de mon corps étaient partis faire le tour de la terre ou bien étaient allés rejoindre une autre galaxie.

— Le texte se poursuit, mais je vais en rester là…

— De philart.


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