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L'émergence de la conscience selon Douglas Hofstadter

 
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Auteur Message
joaquim
Administrateur


Inscrit le: 06 Août 2004
Messages: 1421
Localisation: Suisse

MessagePosté le: Je 26 Août 2004 1:02    Sujet du message: L'émergence de la conscience selon Douglas Hofstadter Répondre en citant

Le texte suivant est un peu long, mais il vaut vraiment la peine d’être lu. Il est tiré d’un article de Douglas Hofstadter paru en 1981 dans la revue Scientific American, et que vous pouvez lire in extenso dans le recueil de ses articles publiés sous le titre Ma Thémagie.

(...)
ACHILLE: Voilà bien une idée bizarre - une chose dont l’identité persiste alors même que la chose change avec le temps. Est-ce comme un pays qui change, tout en restant le même? Je pense à la Pologne, par exemple. S’il existe un pays dont la flamme vitale a été malmenée, c’est bien celui-ci - et pourtant il semble avoir conservé son “âme polonaise” à travers les siècles.

LA TORTUE: Bel exemple. Le sentiment d’être “une chose qui dure dans le temps” est absolument à la racine de notre sentiment d’“être quelqu’un”. Et en un sens c’est une bonne blague de la nature: l’illusion d’identanimité. Ou si vous préférez ne pas y voir une illusion, on peut dire que l’aptitude d’un organisme à abstraire, à penser voir un objet constant au fil du temps, qu’il appelle son soi au long de ses changements, fait que l’âme de cet organisme n’est pas une illusion.

ACHILLE: Vous voulez dire que tout ce qui peut se duper soi-même - je veux dire se voir soi-même - en se considérant comme inchangé au fil du temps a une âme?

(...)
LA TORTUE: Si, de l’extérieur, on attribue des convictions et des intentions à un organisme ou à un mécanisme, on “adopte le point de vue intentionnel” envers cette entité. Mais dès lors que l’organisme est compliqué au point de devoir adopter ce point de vue vis-à-vis de lui-même, on peut dire qu’il “adopte le point de vue auto-intentionnel”. Cela doit signifier que la meilleure façon pour l’organisme de se voir lui-même, c’est de s’attribuer des désirs, des convictions, etc.

ACHILLE: Mais c’est un bien curieux genre de boucle de rétroaction trans-niveaux, Madame T. L’image de soi du système (...) est recyclée dans le système (...) en un sens tout-à-fait concret. C’est comme une télévision qui regarderait son propre écran, recyclant sans fin une représentation d’elle-même, créant ainsi une configuration d’images de soi imbriquées les unes dans les autres et visibles sur l’écran.

LA TORTUE: Et cette configuration stable devient un véritable objet en soi et pour soi. Si vous étiez [une telle machine intelligente], le simple fait d’adopter vis-à-vis de vous-même le point de vue auto-intentionnel ferait de vous le créateur d’une chimère auto-entretenue. Aussitôt créée, l’illusion d’un objet unique - une conscience de soi avec ses convictions et ses désirs (...) - se réintroduit dans le système en tant que l’une de ses convictions. Et plus elle se recycle à travers le système, plus elle s’affirme, s’endurcit et se cristallise à demeure. C’est comme un cristal dont la cristallisation, une fois mise en route, agit comme un catalyseur sur sa cristallisation ultérieure. Il y a là une sorte de boucle - cercle vicieux - qui se renforce elle-même, de sorte que même si elle démarre sous forme d’une chimère, une fois fermement établie, elle a si profondément imprégné toute la structure du système que nul ne saurait expliquer comment ou pourquoi le système fonctionne comme il le fait, sans faire référence à cette “stupide et chimérique” croyance en soi en tant qu’individu.

ACHILLE: Mais à ce moment-là, elle n’est plus aussi stupide, pas vrai?

LA TORTUE: Non, elle doit alors être prise tout-à-fait au sérieux, car elle dispose d’un grand pouvoir explicatif. Une fois que le concept de soi s’est ainsi établi à demeure, ou “réifié”, dans l’ensemble des concepts personnels du système, cela détermine en grande partie le comportement futur du système (...). Et le plus curieux, c’est que la même rétroaction trans-niveaux (l’adoption du point de vue auto-intentionnel) a lieu dans toute [machine intelligente] suffisamment complexe. Quelles que soient les [machines], les configurations stables (qui leur confèrent leur image de soi) auxquelles [elles] parviennent à la suite de ce processus en boucle, sont toutes isomorphes.

ACHILLE: C’est bizarre! Le substrat n’est pas le même, mais le phénomène abstrait qui se construit à partir de ce substrat est le même. C’est une valeur universelle. C’est plutôt difficile à saisir.

LA TORTUE: Peut-être, mais c’est la vérité. Tous ont des sens identiques et isomorphes de leur “moi”. Il n’y a en fait qu’un seul sens à ce mot – un seul référent – une seule forme abstraite – et chacun a pourtant l’impression de le connaître, lui et lui seul, de façon unique! C’est une sorte de lutte pour le privilège d’être le seul à posséder ce qui est à tout le monde.
(...)

Douglas Hofstadter, Ma Thémagie, Interéditions, Paris, 1988, pp 655-658



Ces configurations stables auxquelles parviennent les systèmes qui établissent un équilibre à partir de conditions initiales aléatoires sont illustrées de manière expérimentales par les automates cellulaires. Il s’agit de programmes informatiques fonctionnant sur la base d’un algorithme simple, qui recyclent en boucle des données de départ aléatoires, et qui parviennent, après un certain nombre d’itérations, à un pattern stable et souvent définitif. Vous pouvez assister en direct à la naissance d’une telle configuration en cliquant sur le lien suivant, http://www.rennard.org/iva/acapll.html et une fois sur la page en cliquant sur Go, ce qui ouvre une fenêtre d’applet java (votre navigateur doit supporter les applet java), puis en choisissant Hasard avant de cliquer sur Go. Se formera alors sous vos yeux une structure nouvelle, probablement encore jamais vue. Vous pouvez également générer vous-même, de manière arbitraire, les conditions initiales, en dessinant avec la souris dans le champ vide les structures de départ.

Douglas Hofstadter a appliqué, dans le dialogue ci-dessus, les caractéristiques de ces automates cellulaires, non pas à l’émergence de la vie (ce que sont censés explorer les automates cellulaires), mais à l’émergence de la conscience, et plus précisément de la conscience de soi. L’idée, bien que troublante, est loin d’être aberrante, car il existe certainement une isomorphie entre l’émergence de l’une et de l’autre, dans la mesure où l’apparition de la conscience sur le substrat de la vie emprunte probablement, à un niveau supérieur, la même boucle développementale que la vie a elle-même empruntée pour se développer sur le substrat de la matière inanimée.

Je trouve par ailleurs extrêmement interpellant de constater que les théoriciens de l’intelligence artificielle, dont fait partie Hotstadter, en appréhendant le phénomène de la conscience, non pas à partir de son vécu intérieur, comme on le fait quotidiennement, mais à partir d'éléments externes à elle et qui sont censés la construire, échappent à l’illusion qu’elle génère (cette illusion qu’ont dénoncée tous les sages qui se sont libérés de ses charmes), et tombent d’emblée sur les conclusions auxquelles les sages ne sont parvenus qu’après une longue ascèse, à savoir que le moi, dans ce qui le constitue au plus profond de lui-même, n’est pas personnel, mais universel, et que le sentiment d’être un individu isolé repose sur une illusion - cela reste bien sûr chez eux une conclusion théorique, et non pas vécue, comme elle doit l'être pour qu'on puisse parler d'éveil.

Ceux qui ont envie d’en savoir plus sur les perspectives ouvertes par les automates cellulaires peuvent lire la conclusion du mémoire rédigé par Nazim Fatès: http://nazim.fates.free.fr/Epistemo/MemoireAC/conclusion.html
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Jean Louis



Inscrit le: 28 Juil 2007
Messages: 103
Localisation: Bretagne

MessagePosté le: Ve 31 Août 2007 14:01    Sujet du message: Illusion Répondre en citant

" Le sentiment d’être “une chose qui dure dans le temps” est absolument à la racine de notre sentiment d’“être quelqu’un”. Et en un sens c’est une bonne blague de la nature: l’illusion d’identanimité. Ou si vous préférez ne pas y voir une illusion, on peut dire que l’aptitude d’un organisme à abstraire, à penser voir un objet constant au fil du temps, qu’il appelle son soi au long de ses changements, fait que l’âme de cet organisme n’est pas une illusion. "

Sentiment, abstraire, penser...
Questions : la continuité ou la pérennité nécessite-t-elle la pensée de cette continuité ? Sans cette pensée, la continuité ne s'arrête-t-elle pas ?


" Si vous étiez [une telle machine intelligente], le simple fait d’adopter vis-à-vis de vous-même le point de vue auto-intentionnel ferait de vous le créateur d’une chimère auto-entretenue. Aussitôt créée, l’illusion d’un objet unique - une conscience de soi avec ses convictions et ses désirs (...) - se réintroduit dans le système en tant que l’une de ses convictions. Et plus elle se recycle à travers le système, plus elle s’affirme, s’endurcit et se cristallise à demeure. C’est comme un cristal dont la cristallisation, une fois mise en route, agit comme un catalyseur sur sa cristallisation ultérieure. Il y a là une sorte de boucle - cercle vicieux - qui se renforce elle-même, de sorte que même si elle démarre sous forme d’une chimère, une fois fermement établie, elle a si profondément imprégné toute la structure du système que nul ne saurait expliquer comment ou pourquoi le système fonctionne comme il le fait, sans faire référence à cette “stupide et chimérique” croyance en soi en tant qu’individu."

Question : avec quoi sommes-nous aux prises, avec l'idée que nous nous faisons des choses ou avec les choses ? Qu'est-ce qui nous préoccupe, l'idée que nous nous faisons de nous ou nous ?

Pourquoi ne pas admettre la chose suivante :
Celui qui est conscient du monde, qui donne un sens au monde et celui qui décide en fonction de sa compréhension du monde, c'est le même.
On ne peut trouver une réalité de référence pour mettre en perspective cette conscience ou cette vie.

_________________
Je ne suis pas celui qui sait.
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