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Francisco Varela, le chercheur et le sage
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joaquim
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MessagePosté le: Ma 14 Sep 2004 21:18    Sujet du message: Francisco Varela, le chercheur et le sage Répondre en citant

Voici un texte assez technique de Francisco Varela, biologiste chilien décédé en 2001, qui a fait oeuvre de pionnier avec Humberto Maturana dans le domaine des sciences cognitives. Il a donné en 1992 une série de conférences à l’Université de Bologne dans le cadre des “Lezioni Italiane”, publiées en français sous le titre: “Quel savoir pour l’Éthique”, La Découverte, Paris, 1996, 2004, [voir le recensement intéressant de Jean-Pierre Meunier] d'où je tire les extraits suivants:

«J’aimerais poursuivre à propos de la vision afin d’amener la discussion précédente à un niveau plus général. Depuis quelques années, des chercheurs ont entrepris d’étudier non pas la “reconstruction centralisée” d’une scène visuelle au profit d’un homoncule final, mais une mosaïque de modalités visuelles, parmi lesquelles on comptera au moins la forme (contour, dimension, rigidité), les propriétés superficielles (couleur, texture, réflexion spéculaire, transparence), les relations spatiales tridimensionnelles (position relative, orientation tridimensionnelle dans l’espace, distance) et le mouvement tridimensionnel (trajectoire, rotation). Il apparaît que ces différents éléments de la vision sont des propriétés émergentes de sous-réseaux concurrents, dotés d’une certaine indépendance et même anatomiquement séparés, mais dont la synergie débouche sur un percept visuel cohérent. Cette architecture n’est pas sans rappeler une “société” d’agents, pour reprendre la métaphore de Minsky. Cette multiplicité multidirectionnelle nous paraît absurde mais elle est typique des systèmes complexes. Je dis absurde, parce que nous sommes habitués au mode causal traditionnel du type entrée-traitement-sortie. Rien dans la description précédente ne suggère que le fonctionnement du cerveau soit analogue au traitement séquentiel de l’information; ce type de description informatisante commune ne correspond pas du tout à la nature réelle du cerveau. En effet, à cause de son architecture réticulée et parallèle, le mode opératoire est différent: il y a un temps de relâchement des signaux dans les deux sens jusqu’à ce que chacun se stabilise dans une activité cohérente constitutive d’un micromonde. La coopération met évidemment un certain temps avant de devenir effective, puisque, du point de vue comportemental, chaque animal possède un rythme naturel. Dans le cerveau humain, cette brève coopération dure de 200 à 500 millisecondes, l’“instantanéité” d’une unité percepto-motrice. Contrairement à ce que l’on pourrait croire en partant du point de vue éthologique ou de notre propre introspection, l’activité cognitive n’est pas un processus ininterrompu: elle est ponctuée par des comportements qui se forment et disparaissent dans des espaces de temps. Cette découverte des neurosciences – et, en fait, des sciences de la cognition en général – est fondamentale, car elle nous dispense de postuler une qualité centrale, homonculaire, pour expliquer le comportement normal d’un agent cognitif.» pp. 78-80

«Utilisons une des meilleures illustrations des propriétés émergentes: les colonies d’insectes. (...) Une chose est particulièrement frappante dans le cas de la colonie d’insectes: contrairement à ce qui se passe avec le cerveau, nous n’avons aucun mal à admettre deux choses: a) la colonie est composée d’individus; b) il n’y a pas de centre ou de “moi” localisé. Pourtant, l’ensemble se comporte comme un tout unitaire et, vu de l’extérieur, c’est comme si un agent coordinateur était “virtuellement” présent au centre. C’est ce que j’entends lorsque je parle d’un moi dénudé de moi (nous pourrions aussi parler de moi virtuel): une configuration globale et cohérente qui émerge grâce à de simples constituants locaux, qui semble avoir un centre alors qu’il n’y en a aucun, et qui est pourtant essentielle comme niveau d’interaction pour le comportement de l’ensemble.» pp. 85-87

«On peut dire que ce que nous appelons “je”, nous-mêmes, naît des capacités linguistiques récursives de l’homme et de sa capacité unique d’auto-description et de narration. Comme la neuropsychologie l’a montré depuis longtemps, la fonction langagière est elle aussi une capacité modulaire qui cohabite avec toutes les autres choses que nous sommes sur le plan cognitif. Nous pouvons percevoir notre sentiment d’un “je” personnel comme le récit interprétatif continuel de certains aspects des activités parallèles dans notre vie quotidienne. C’est de là que viennent les continuels changements dans les formes d’attention typiques de nos micro-identités, ainsi que la fragilité relative de sa construction narrative.» p. 99


Le moi ne serait ainsi pas un élément stable, continu, ontologiquement délimité, mais une simple propriété émergente de structures sous-jacentes indépendantes, doté d’une existence non pas réelle, mais purement nominale, un peu comme l’anticyclone des Açores, qui n’est pas un être réel, mais la propriété émergente de certains courants atmosphériques particuliers, et auquel il est justifié de donner un nom uniquement en raison de sa puissance explicative.

On retrouve ainsi dans les découvertes et dans le langage de la science une conception du moi semblable à celle que les sages qui ont échappé à son envoûtement lui ont donné.

Cette parenté n'a pas échappé à Varela lui-même, qui s'est beaucoup intéressé aux philosophies orientales. C'est d'ailleurs assez réconfortant de constater qu'un scientifique comme Varela, qui est un figure reconnue dans les sciences cognitives et un théoricien des approches les plus modernes de la psychothérapie (le constructivisme, aussi nommé cybernétique du 2ème ordre, et qui rassemble dans une perspective plus large les approches systémiques, issues de la cybernétique, et certaines approches psychodynamiques, issues de la psychanalyse), c’est donc, disais-je, assez réconfortant de voir un scientifique de pointe déboucher le plus naturellement du monde, à partir de ses propres découvertes, sur une sagesse séculaire. Cela me touche particulièrement, car je me souviens de mes jeunes années et de mes tourments à tenter de concilier les exigenges de mon esprit rationnel, qui refusait toute compromission avec la facilité, et cette sagesse séculaire qui me fascinait, mais qui m'apparaissait irréelle, comme le réconfort d'un rêve, tant que je n'en eus pas trouvé la clé. Voici donc comment Varela a poursuivi sa pensée dans la même série de conférences:

«En fait, dès la première des dix étapes du la voie du boddhisattva (et c’est un parcours d’apprentissage!), qui est appelé acala, l’immobile, le boddhisattva agit sans faire aucun effort, tout comme le rayon de lune éclaire toute chose avec impartialité. Encore une fois, le paradoxe de la non-action dans l’action, c’est que l’individu devient l’action et qu’il s’agit d’une action non duelle. (...) Quand on est l’action, il ne reste plus aucune conscience de soi pour observer l’action de l’extérieur. Lorsque l’action non duelle se déroule régulièrement, l’acte est ressenti comme fondé dans ce qui est calme et ne se meut pas. Oublier son moi et devenir complètement quelque chose, c’est aussi prendre conscience de sa propre vacuité, c’est-à-dire de l’absence de point de référence solide.» pp. 58-59

C’est cette absence de point de référence solide qui doit devenir, paradoxalement, le seul point de référence, ce qui équivaut à plonger dans le vide:

«Certes, cet état positif peut sembler menaçant comme nous l’avons déjà dit à propos du wu-wei dans le taoïsme. Ce n’est pas un fondement, il ne peut être saisi comme tel, comme point de référence, ou comme refuge pour un sentiment du moi. On ne peut pas affirmer son existence – pas plus qu’on ne peut la nier. Ce ne peut être un objet de l’esprit ou de la conceptualisation; il ne peut pas être vu, entendu ou pensé. C’est ce qui explique les nombreuses images utilisées traditionnellement pour le désigner, dont la vision de l’aveugle ou une fleur qui éclôt dans le ciel. Lorsque l’esprit conceptuel essaie de le saisir, il ne trouve rein et se retrouve donc en face du vide. Il ne peut être connu que directement. Il est appelé nature de Bouddha, non-esprit, esprit primordial, boddhicitta absolue, esprit de la sagesse, Toute-Bonté, Grande Perfection, Ce-qui-ne-peut-être-fabriqué-par-l’esprit, Naturel; il n’est pas vraiment différent du monde ordinaire; c’est ce même monde ordinaire, conditionnel, impermanent, douloureux, sans fondements, vécu (connu) comme l’état suprême inconditionnel. Et la manifestation naturelle, l’incarnation de cet état est appelé karuna – la compassion inconditionnelle, impavide, “inexorable”, spontanée. Comme le dit avec justesse un maître tibétain contemporain dans un poème: “Lorsque l’esprit raisonnant ne s’attache plus et ne saisit plus, [...], on s’éveille à la sagesse avec laquelle on et né, et l’énergie compatissante surgit dans toute sa simplicité.”» pp. 113-114

Voir aussi : Francisco Varela: autopoièse, énaction et éthique
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waxou



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Localisation: Marseille

MessagePosté le: Ma 15 Mars 2005 14:08    Sujet du message: science et spiritualité Répondre en citant

Citation:
Cela me touche particulièrement, car je me souviens de mes jeunes années et de mes tourments à tenter de concilier les exigenges de mon esprit rationnel, qui refusait toute compromission avec la facilité, et cette sagesse séculaire qui me fascinait, mais qui m'apparaissait irréelle, comme le réconfort d'un rêve, tant que je n'en eus pas trouvé la clé.

Je connais cette tendance à vouloir essayer de réunifier science et spiritualité. Etudiant en médecine, mes premiers cours rationnels m'ont souvent désorienté sur le plan spirituel, particulièrement en neurophysiologie car les professeurs décrivaient des fonctions cérébrales auquelles j'étais attaché comme issues uniquement de notre cortex, fragile, mortel, complexe, mais tout de même matériel (les émotions, la mémoire, la conscience...).
Mais à force de découvertes personnelles, les conclusions de mes professeurs ne me déstabilisèrent plus car je repérais souvent des insuffisances dans leurs raisonnements, et surtout dans les hypothèses expérimentales qu'ils osaient avancer. Alors je me suis intéressé aux observations qu'ils faisaient, sans accorder trop d'importance aux conclusions lorsqu'elles me semblaient un peu rapides.
En fait, j'ai remarqué que les professeurs étaient bien souvent trop sûrs que tout était matériel, et ils faisaient donc l'erreur expérimentale classique illustrée dans l'expérience de la sauterelle que mon professeur de biologie de 6eme me racontait (peut être que quelqu'un en a une meilleure version):
Un jour un homme de science voulut savoir quel était l'organe de l'audition chez les sauterelles, or il avait remarqué que ces dernieres sautaient à chaque fois qu'il claquait des mains. Pour voir si elles percevaient les vibrations sonores avec leurs pattes, il les sectionna, et vit qu'en effet, les sauterelles ne sautaient plus lorsqu'elles avaient les pattes coupées (!). Il en conclut donc que les sauterelles entendaient avec leurs pattes.
De même, quand une personne est lésée cérébralement, et qu'elle perd une capacité humaine du genre, "la conscience", l'homme de science va allegrement conclure que la conscience se situe dans le cerveau alors que si l'origine de la conscience est immatérielle par exemple, le cerveau ne constituerait qu'une sorte d'adaptateur pour coller la conscience au corps (je dis bien que c'est un exemple d'hypothèse)...
En fait, je sens qu'esprit rationnel et spirituel vont finir par se rejoindre un jour car lorsque l'esprit rationnel est très rigoureux (pas comme dans l'expérience de la sauterelle) il a souvent tendance à rejoindre la "sagesse séculaire".
La théorie des supercordes par exemple pour ceux qui connaissent (particulièrement difficile à expliquer) est très troublante.
Einstein aurait dit avoir senti la loi de la relativité avant de la prouver.
Arriver à réconcillier science, religion et spirituel collectivement pourrait completement changer la face de l'humanité... car celà remplit généralement de joie l'initié dans ces trois domaines.
En tous cas ce texte en est un exemple parfait en plus d'être troublant et je ne connaissais pas Francisco Varela donc un grand merci !
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Sika 2
Invité





MessagePosté le: Di 17 Juil 2005 19:48    Sujet du message: Répondre en citant

Einstein disait aussi : "L'intelligence intuitive est un cadeau et l'intelligence rationnelle en est le serviteur. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et oublie le cadeau."

Pour relier ce thème à celui évoqué dans l'autre topic, j'ai envie de dire que l'intelligence rationnelle est l'intelligence reliée à notre énergie masculine tandis que l'intelligence intuitive est reliée à notre énergie féminine.
Le masculin émerge du féminin, donc nous avons l'intuition de quelque chose, nous recevons cette "connaissance" d'une sagesse qui nous transcende et nous la mettons en forme, la vérifions, l'exprimons par notre intelligence rationnelle. Toutes les grandes découvertes, toutes les grandes créations sont issues de ce processus puisque toute vie émane de ce processus : la femme, dans son énergie féminine reçoit le spermatozoïde, elle le transforme, elle l'amène à maturation puis, entrant dans son énergie masculine, elle met l'enfant au monde.

Ainsi, pour ce qui est du plus grand concept qui est celui de "Dieu", lorsque nous sommes dans notre énergie féminine, nous Sentons Dieu en nous; lorsque nous sommes dans notre énergie masculine, nous parlons de Dieu, nous le conceptualisons, dès lors, en quelque sorte, nous le créons hors de nous.
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artificial intelligence
Invité





MessagePosté le: Je 18 Mai 2006 21:16    Sujet du message: mort de varela Répondre en citant

pouvez-vous me dire comment est mort varela? de quelle maladie?

E-mail : <aiechec@yahoo.fr>
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joaquim
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MessagePosté le: Je 18 Mai 2006 23:51    Sujet du message: Répondre en citant

Du cancer.

http://www.frif.com/new2005/mon4.html
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pol



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MessagePosté le: Ve 09 Juin 2006 16:27    Sujet du message: Re: Francisco Varela, le chercheur et le sage Répondre en citant

Bonjour joaquim,

Franchement, il y a plus à lire qu'à parler chez toi. Il y a de l'or de partout ici.

Et la perspective s'affine mais ne fuit pas.

Amitiés, pol.
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joaquim
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MessagePosté le: Sa 10 Juin 2006 23:43    Sujet du message: Répondre en citant

Merci pour les compliments, pol. Smile Ce forum est un travail commun, où chacun apporte sa pierre, son regard, sa présence, même silencieuse.
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Asche



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MessagePosté le: Me 07 Fév 2007 13:28    Sujet du message: Répondre en citant

[edit joaquim] Les messages suivants se trouvaient initialement ICI.


Bonjour,
Comme je l'entendais dire récemment par Charles David Hayes (www.awake-now.org) dans une video sur youtube.com, "the gift is in not knowing, not even knowing not knowing. "Le cadeau est dans la non-connaissance, pas même connaitre la non-connaissance". Je ne peux pas parler en mon nom puisque je n'ai pas vécu de manière parfaitement clair ce "non-état", mais ça me semble cohérent.
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joaquim
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MessagePosté le: Me 07 Fév 2007 14:20    Sujet du message: Répondre en citant

C’est juste, “connaître la non-connaissance”, ce serait effectivement se trouver non pas dans l’unité, mais dans la dualité induite par l’acte même de connaître, puisque celui-ci scinde le Tout en un sujet connaissant et un objet de connaissance. L’éveil n’est pas “connaissance” dans ce sens-là, donc, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y aurait pas “conscience”, comme le suppose ati-adi. Au contraire, dirais-je. Si la conscience n’était pas là, il faudrait croire que ce qui est à la base de l’Être ne serait pas la conscience, mais quelque chose d’inaccessible à la conscience. Autrement dit quelque chose dont nous serions, en tant qu’être conscient, radicalement et éternellement coupés. Dès lors, cette chose supposée à la base de tout ne saurait être l’Être, l’Englobant, puisque qu’elle n’engloberait pas un élément essentiel de l’Être, à savoir notre conscience, qui en est la moitié subjective.
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Asche



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MessagePosté le: Me 07 Fév 2007 15:23    Sujet du message: Répondre en citant

On peut facilement envisager les choses autrement. En ce qui me concerne je pense que la conscience n'existe (n'est) que par les formes qu'elle adopte. En fait c'est même une mauvaise formulation puisque cela suggère que la conscience existe en soi et qu'elle adopte des formes, or je pense que les formes sont "conscience", et que sans forme (à la mort physique par exemple) il n'y a pas de conscience, pas même une "conscience fondamentale universelle". Même si j'ai de plus grandes affinités avec l'advaïta, je dois bien admettre que les bouddhistes semblent avoir un point de vue plus "raffiné", plus subtil, et plus moderne à la fois, concernant la conscience et l'absolu. La vacuité n'est pas la "conscience absolue", la vacuité est (entre autres) la réalité aveugle, sans vue sur elle-même, et même lorsqu'elle s'offre une vue d'elle-même, par le biais de la conscience, cela ne révèle que ces formes et rien d'autre. Ce point de vue ne change rien, fondamentalement, sur le sujet de l'éveil, mais il offre une perspective moins mystique, plus simple. Je suis entrain de lire "La conscience expliquée" de Daniel Dennett et ses idées peuvent être vues comme allant dans ce sens, même s'il n'aborde jamais cette question sous le jour de la spiritualité.
Maintenant je sais que ce genre de débat n'est pas approprié à ce forum, j'espère que je serai pardonné pour ces digressions
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joaquim
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MessagePosté le: Me 07 Fév 2007 21:43    Sujet du message: Répondre en citant

Asche a écrit:
On peut facilement envisager les choses autrement. En ce qui me concerne je pense que la conscience n'existe (n'est) que par les formes qu'elle adopte. En fait c'est même une mauvaise formulation puisque cela suggère que la conscience existe en soi et qu'elle adopte des formes, or je pense que les formes sont "conscience", et que sans forme (à la mort physique par exemple) il n'y a pas de conscience, pas même une "conscience fondamentale universelle".


Cela est tout-à-fait juste pour une approche comme celle de Daniel Dennett, qui examine l’émergence de la conscience d’un point de vue scientifique. Mais le point de vue scientifique est borné par nature — je ne le dis pas dans un sens péjoratif, je respecte beaucoup la rigueur scientifique —, car la nature de la démarche scientifique est d’examiner les objets, sans se préoccuper du sujet qui les examine. A l’intérieur du cadre scientifique ainsi défini, on peut avec justesse prétendre que la conscience humaine est une propriété émergente de la matière lorsque celle-ci atteint un degré de complexité suffisant, tel qu’on le trouve dans le cerveau humain. Seulement, on aura pour ce faire occulté un élément capital: on n’aura pas pris en compte le fait que cette réflexion portant sur l’émergence de la conscience se déroule elle-même à l’intérieur d’une conscience déjà existante. En fait, il ne saurait y avoir de vérité ou d’erreur sans conscience, ni d’enchaînement causal, ni de dénomination d’objets, ni rien de ce qui constitue toute réflexion, y compris la réflexion sur l’émergence de la conscience, sans conscience. Les éléments inanimés à partir desquels la conscience émergerait n’existent, eux non plus, sous la dénomination d’ “éléments inanimés”, que dans la conscience, et nulle part dans la “réalité” — qui elle-même n'est “réalité” que pour une conscience.

Dès lors, affirmer que “la vacuité n'est pas la "conscience absolue", la vacuité est (entre autres) la réalité aveugle, sans vue sur elle-même, et même lorsqu'elle s'offre une vue d'elle-même, par le biais de la conscience, cela ne révèle que ces formes et rien d'autre”, ne représente pas à mon avis un point de vue plus raffiné que celui de la non-dualité. Au contraire, considérer une réalité ultime dépourvue de conscience, c’est demeurer victime d’un aveuglement, car prisonnier d’une démarche par laquelle on élimine l’élément même dans lequel cette démarche se déroule. Ou dit autrement: cette explication “bouddhiste” (l’est-elle vraiment?) est satisfaisante pour qui examine les faits avec un regard extérieur, scientifique, elle est une conséquence logique de cet examen. Mais la conception non-duelle est plus profonde, réellement englobante, plus difficile aussi, car elle ne découle pas d’une explication apparemment logique, mais d’une interrogation rendue nécessaire par les paradoxes de la conscience. Elle ne se laisse pas démontrer, mais simplement indiquer, et exige pour être comprise plus qu’une simple connaissance: un geste intérieur par lequel on se perçoit soi-même origine de ce qui est.

Je crois qu'il vaut la peine de se pencher un peu sur paradoxes de la conscience, en suivant par exemple dans sa réflexion Quentin Meillasoux dans un texte déjà cité.



ariameva a écrit:
waxou a écrit:
Comment Vacuité, pourraît "disparaitre"? mefiant15

salut waxou: et bien en disparaissant tout simplement. Comment? je ne sais pas, pourquoi? également.

Des idées assumées par personne, même pas par toi, voilà qui s’appelle des idées en l’air...
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Asche



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MessagePosté le: Me 07 Fév 2007 23:09    Sujet du message: Répondre en citant

joaquim a écrit:
Dès lors, affirmer que “la vacuité n'est pas la "conscience absolue", la vacuité est (entre autres) la réalité aveugle, sans vue sur elle-même, et même lorsqu'elle s'offre une vue d'elle-même, par le biais de la conscience, cela ne révèle que ces formes et rien d'autre”, ne représente pas à mon avis un point de vue plus raffiné que celui de la non-dualité.


Mais cette conception est bel et bien non-duelle, ou disons moniste puisqu'elle s'incrit dans un cadre plus philosophique/scientifique (objectif) que spirituel (subjectif). Si je t'ai bien compris, c'est d'ailleurs ce que tu soulignes, à savoir, qu'il s'agit d'une thèse qui s'inscrit dans "l'histoire du monde", cette fameuse illusion mentale, tandis que l'approche que tu préconises est directement liée au point de vue de la première personne, l'expérience intime de "ce qui est", qui te semble donné d'emblée, forcément vrai puisque pré-interprétative ( Shocked ). Pourtant c'est ce que Dennett tente de démonter : l'impression que les perceptions sont des "données brutes", des "faits", "ce qui est", est une illusion, les perceptions sont sémantiques ! Elles n'ont pas une plus grande réalité que les histoires du mental. A mon avis, il ne faut pas ignorer ce genre de thèses qui bousculent nos préjugés de non-dualistes, d'autant plus que cela ne contredit en rien l'expérience que tu peux avoir de l'éveil.

Edit : Joaquim, pour mieux te comprendre, peux-tu me dire si tu penses/acceptes que l'image de l'arbre qui t'apparait renvoit à un véritable arbre inconnaissable directement, ou au contraire, qu'il ne renvoit à strictement rien d'autre qu'au sujet ultime que tu sembles penser/constater être ?
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joaquim
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MessagePosté le: Je 08 Fév 2007 1:03    Sujet du message: Répondre en citant

Asche a écrit:
Mais cette conception est bel et bien non-duelle

J’avais cru que tu opposais la conception de l’advaita (non-dualité) à la conception bouddhiste, lorsque tu disais:

Asche a écrit:
Même si j'ai de plus grandes affinités avec l'advaïta, je dois bien admettre que les bouddhistes semblent avoir un point de vue plus "raffiné", plus subtil, et plus moderne à la fois, concernant la conscience et l'absolu.

Peut-être ai-je un peu trop vite interprété...


Asche a écrit:
Pourtant c'est ce que Dennett tente de démonter : l'impression que les perceptions sont des "données brutes", des "faits", "ce qui est", est une illusion, les perceptions sont sémantiques ! Elles n'ont pas une plus grande réalité que les histoires du mental.

Parfaitement d’accord. Le contenu de la conscience n’est pas réel au sens où il recèlerait la réalité des objets perçus. Ces objets ne sont pas réellement présents dans la conscience, seuls le sont les images qu’elle-même se construit de ces objets. Les objets eux-mêmes sont inconnaissables dans leur être-en-soi, c’est-à-dire dans leur être-existant- indépendamment -de-toute-conscience. Je pense effectivement, comme tu sembles le penser aussi, que l'image de l'arbre qui m'apparaît renvoie à un véritable arbre inconnaissable directement. Mais j’ai peut-être trop insisté sur la dualité connaissance objective / sujet conscient, en opposant la démarche scientifique à la démarche spirituelle. Ce qui t’a fait penser que j’assimilerais démarche spirituelle à démarche subjective. Non, pour ma part, la démarche subjective est autant, sinon plus, entachée d’illusion que la démarche objective. En cela, je crois bien rejoindre Dennett. Examiner le contenu de notre conscience ne nous rapproche pas plus de la réalité-en-soi qu’examiner le monde extérieur. L'un et l'autre ne sont pas des réalités-en-soi, mais des construction évanescente de la conscience. Tout au moins tant qu’on ne touche pas une vraie réalité à l’intérieur de la conscience. Cette réalité, la seule qui y soit présente, c’est “Je”. Mais il est bien caché, il est drapé dans l'illusion, on ne le voit jamais, on ne le perçoit jamais.

joaquim ici a écrit:
L’expérience de moi est une expérience par exclusion, négative : jamais mon moi ne vient s’installer de lui-même dans ma conscience ; il n’existe que lorsque des impressions viennent le frapper, et auxquelles sa nature le contraint de résister pour ne pas se fondre en elles. Il s’affirme comme étant autre, mais il ne dit pas ce qu’il est. Il se sent être lorsque les impressions du monde le frappent. Et pourtant, il ne se ressent que comme autre que le monde. Les seules réalités positives présentes dans sa conscience sont celles que le monde y dépose ; la sienne propre est simplement autre, c’est une réalité négative. Ce qui, pour lui, est, ce sont les impressions du monde, ainsi que les sentiments et les pensées qu’elles déclenchent dans son âme : ceci a pour lui une réalité consistante. Sa réalité à lui est parfaitement inconsistante, n’est qu’une réalité en creux.


C’est cela l’essence du chemin: faire taire le brouhaha qui meuble la conscience, rester seul face à son propre vide, devenir ce vide, et découvrir qu'il EST. Au-delà de toute distinction subjective / objective; il est, c’est tout.
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ponkhâ



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MessagePosté le: Je 08 Fév 2007 3:16    Sujet du message: Répondre en citant

joaquim a écrit:
C’est cela l’essence du chemin: faire taire le brouhaha qui meuble la conscience, rester seul face à son propre vide, devenir ce vide, et découvrir qu'il EST. Au-delà de toute distinction subjective / objective; il est, c’est tout.

C'est ce que je vis à chaque instant dans l' ici immédiat et sans aucune projections.
C'est bien de cela dont il s'agit ? Smile
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Asche



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Messages: 173

MessagePosté le: Je 08 Fév 2007 10:54    Sujet du message: Répondre en citant

joaquim a écrit:
J’avais cru que tu opposais la conception de l’advaita (non-dualité) à la conception bouddhiste


En fait lorsque je dis advaïta je fais référence à la tradition hindouiste de l'Advaïta Vedanta, mais je considère aussi le bouddhisme comme non-duel (du moins les enseignements "authentiques" comme le zen, tchan, dzogchen...).

joaquim a écrit:
Parfaitement d’accord. Le contenu de la conscience n’est pas réel au sens où il recèlerait la réalité des objets perçus. Ces objets ne sont pas réellement présents dans la conscience, seuls le sont les images qu’elle-même se construit de ces objets.


Mais c'est bien des images que je parlais, et non des objets en soi. Et c'est ce qui est à prime abord choquant dans la théorie des Versions Multiples de Dennett, qui suggère que ces images n'existent même pas ! Comment ?! Mais c'est mon expérience intime, comment peut-il nier que j'ai ces expériences Shocked ? Il nie l'existence des qualia, c'est-à-dire des qualités "phénoménologiques" telles que la couleur, les sons, etc. Pourtant on pourrait croire que ces qualités d'expérience sont des "données brutes de la conscience", que mon champ de vision, par exemple, est réellement une étendue colorée unitaire qui "(m')apparait", et malgré le fait que ni la science, ni la philosophie n'ont jamais été capable d'expliquer ce qu'est au juste une couleur, on (même les spécialistes) persiste à adopter cette thèse que Dennett nomme Théatre Cartésien. Il propose en contrepartie (enfin, c'est ce que j'en comprend, mais je n'ai pas terminé le livre) l'idée que l'impression des qualia est la résultante illusoire d'une quantité variée de petits "commentaires" ou traitements cérébraux concernant le signal, optique par exemple, et qu'à aucun moment n'existe, même d'une manière qui nous échaperait scientifiquement, une "image" unitaire telle une étendue colorée, mais seulement une impression d'image. Non seulement l'image n'est pas la chose, comme tu le soulignais, mais de plus, l'image n'existerait même pas. C'est ce point de vue que j'oppose ici, partiellement, à la conception traditionnelle de l'Advaïta Vedanta, qui veut que le "Je Suis" de la Pure Conscience sois une vacuité qui veille et qui accueille les "feux d'artifices" phénoménologiques. J'ai le sentiment que le bouddhisme est plus catégorique concernant la nature des perceptions et de la conscience.

Citation:
Cette réalité, la seule qui y soit présente, c’est “Je”. Mais il est bien caché, il est drapé dans l'illusion, on ne le voit jamais, on ne le perçoit jamais.


En fait ce que je constate, c'est que d'un point de vue purement opérationnel, que le "Je" (le Soi) soit réellement cette conscience fondamentale intemporelle ("immortelle"), ou qu'il n'y a PAS de "Je" fondamental, cela revient exactement au même. Que les illusions de perceptions apparaisent au "Je" en tant que modulation non-duelle de celui-ci, ou que les illusions de perceptions n'apparaissent ni au "moi" (ce sur quoi nous sommes tous d'accord) et ni même au "Je" fondamental, mais semblent seulement apparaitre, comme cela, à rien ni à personne, cela revient au même pour celui qui se situerait dans la non-perspective d'éveil. Enfin, je peux me tromper ! Et c'est pour cela que je t'accorderais volontier le bénéfice du doute tant que je n'aurai pas vécu l'éveil de manière plus clair que mes petites expériences fugaces.

J'espère ne pas avoir été trop confu, parfois je m'emballe un peu.
Bonne journée
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