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L'empailleur de rêves, Nikom Rayawa

 
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Auteur Message
lune



Inscrit le: 09 Jan 2005
Messages: 34

MessagePosté le: Sa 07 Oct 2006 16:41    Sujet du message: L'empailleur de rêves, Nikom Rayawa Répondre en citant

L’ombre dansante des tamariniers, des champs de cannes à sucre et des rizières, des maisons suspendues aussi légères que fragiles, des forêts muettes, denses et secrètes, des buffles lourds levant des nuages de poussière. Et la rivière, celle que les éléphants empruntent, menés par le cornac, tirant derrière eux les troncs massifs de la forêt dépossédée. Un décor intemporel, celui d’un Siam pourtant disparu.
Cam-ngaï n’a jamais appris d’autre métier que celui de cornac, comme son père l’a été avant lui. Il grandit avec Plaïssoute ; l’enfant et l’éléphanteau batifolent sur les bancs de sable le long de la rivière. Cam-ngaï parle à Plaïssoute sans la moindre gêne. A croire, disent les gens du village, qu’ils ne font qu’un. Lorsqu’il atteint l’âge d’être le cornac de Plaïssoute, il disparaît du village pendant des mois entiers. Seul avec son éléphant, il suit le rythme lent et lourd de l’éléphant qui traîne ses billes de bois. Il est enchaîné à Plaïssoute comme l’éléphant l’est au bois flottant sur l’eau. Puis Cam-ngaï est blessé. Le pied écrasé par un tronc, son destin bascule : il ne sera jamais plus cornac, il ne grimpera plus sur le dos de Plaïssoute, qui est vendu. Il s’établit au village, épouse Madjane, qui lui donne un fils, Air. Il devient sculpteur sur bois, apprend à ciseler des motifs, puis des pièces entières qu’il fait naître des billes charriées par la rivière. Il empaille aussi les animaux morts, trophées de chasse que ses riches clients veulent conserver. Pourquoi ? se demande Cam-ngaï. « Ces animaux-là avaient été vivants. Ils avaient eu un corps et une âme. On les avait tués par balles. Et voilà qu’on voulait que leur carcasse ait l’air d’être en vie. Les gens sont étranges. On éviscère ces animaux, on leur arrache le cœur et on cherche la vie dans leur carcasse ».
Cette vie, Cam-ngaï s’en sent exclu. Son souffle a disparu avec le départ de Plaïssoute. Il ne parvient pas à s’intéresser à son fils, qui traverse les saisons et grandit sans qu’il s’en aperçoive. Plaïssoute lui a ravi ses mots, il s’enferme dans le silence. Il n’a qu’un sentiment de manque, de vide. Le vide l’attend partout, au soleil comme dans l’obscurité. Les jours se suivent, pareillement dépourvus de sens, et il finit par ne plus pouvoir le supporter : « Je voudrais pouvoir les empailler vraiment, ces foutues journées, pour qu’elles s’arrêtent une bonne fois » . Lui vient alors un désir fou : faire revivre Plaïssoute, la faire émerger de ce bois qu’elle a tant de fois hâlé, lui restituer son regard. Jour après jour, année après année, il se lance dans cette tâche monumentale.Tour à tour découragé ou enivré par son œuvre, qui occupe tout l’espace de son cœur et de ses pensées. Mais Plaïssoute ne se laisse pas facilement apprivoiser, le bois dur ne rend pas la tendresse de son regard, ni sa mobilité. Plaïssoute est prisonnier de son amour, sa vie propre s’est noyée dans l’obsession de son souvenir. Cam-ngaï, en voulant le ressusciter, a tué son rêve. Qui aurait l’idée de naturaliser un peu de brouillard ou un arc-en-ciel ?
Tout le monde porte en son cœur un énorme éléphant, aussi beau qu’on veut bien l’imaginer. Tant qu’on ne prend pas un ciseau ou un maillet pour s’attaquer au bloc de bois, l’éléphant reste infiniment beau. Dès qu’on enferme sa vie dans notre propre désir, la voilà qui s’échappe et nous laisse vidés, face à nous-mêmes : « J’ai été si bêtement occupé avec des carcasses dépourvues de vie que je n’ai jamais pris soin de la vie qui anime les carcasses ». A poursuivre son désir de rendre son rêve immortel, de laisser une trace tangible de son passage, Cam-ngaï l’a défitivement privé de cette vie qu’il n’a pas su habiter. Cette vie qui s’échappe dès qu’on tente de la retenir, dont les contours s’estompent dès qu’on cherche à en contenir l’espace. C’est notre désir de la posséder qui nous en tient séparé, dissocié. « Tout être humain a des liens invisibles avec les autres. Je ne suis pas que moi. Plaïssoute n’est pas que Plaïssoute. Je suis en lui et il vit en moi. Nous naissons et nous mourons tous une seule fois, mais ce qui est entre les deux, c’est la vie et il revient à chacun de nous de faire la sienne ».
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mauvaiseherbe



Inscrit le: 31 Mai 2006
Messages: 336

MessagePosté le: Ma 10 Oct 2006 14:05    Sujet du message: Re: L'empailleur de rêves, Nikom Rayawa Répondre en citant

lune a écrit:
Cette vie qui s’échappe dès qu’on tente de la retenir, dont les contours s’estompent dès qu’on cherche à en contenir l’espace. C’est notre désir de la posséder qui nous en tient séparé, dissocié. « Tout être humain a des liens invisibles avec les autres. Je ne suis pas que moi. Plaïssoute n’est pas que Plaïssoute. Je suis en lui et il vit en moi..


J'ai lu comme un enfant ...

Je suis touchée , heureuse et honorée de manger, aujourd"hui ,mon pain quotidien en compagnie d'un éléphant .

Merci Lune
Smile
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jef
Invité





MessagePosté le: Ve 13 Oct 2006 18:05    Sujet du message: Répondre en citant

dommage Lune que vous soyez si rare sur ce forum ce que vous dites ne resemble à personne
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