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L’ambiguïté de la conscience humaine : éthique et clonage

 
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joaquim
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MessagePosté le: Sa 29 Jan 2005 3:22    Sujet du message: L’ambiguïté de la conscience humaine : éthique et clonage Répondre en citant

Voici tout d’abord un texte de Vladimir Soloviev qui cerne avec beaucoup d’acuité l’ambiguïté de la position de la conscience par rapport au monde:

«La civilisation occidentale a libéré la conscience humaine de toutes les limitations extérieures, elle (...) a proclamé les droits absolus de l’homme. Mais ayant en même temps rejeté tout principe absolu au sens positif – c’est-à-dire dans la réalité et en tant que possédant par nature la plénitude entière de l’être – et ayant circonscrit la vie et la conscience de l’homme dans le domaine du relatif et du transitoire, cette civilisation a suscité une aspiration infinie tout en rendant la satisfaction impossible.

L’homme moderne se sait libre intérieurement, il s’estime supérieur à tout principe extérieur qui ne dépend pas de lui, il s’affirme comme le centre de tout, et n’est cependant en réalité qu’un point infiniment petit et fugace à la circonférence du monde.

La conscience contemporaine reconnaît des droits divins à la personne humaine mais ne lui donne ni forces divines ni contenu divin, car l’homme moderne, dans la vie comme dans le domaine de la connaissance, n’admet qu’une réalité relative, il ne reconnaît que la réalité des faits, et des phénomènes particuliers, et n’est lui-même, de ce point de vue, qu’un de ces faits particuliers.

Ainsi donc, d’une part l’homme est un être à la signification absolue, avec des exigences et des droits absolus et, d’autre part, ce n’est qu’un phénomène limité et transitoire, un fait parmi une multitude d’autres faits qui le limitent de toutes parts et dont il dépend – et cela n’est pas seulement vrai de l’individu, mais de l’humanité entière. Du point de vue athée, non seulement l’homme individuel apparaît et disparaît comme tous les autres faits et phénomènes de la nature, mais l’humanité entière, apparue sur terre à la suite de circonstances extérieures naturelles, peut, par suite d’une modification de ces mêmes circonstances, disparaître du globe terrestre sans laisser de traces, ou périr en même temps que lui. L’homme est tout pour lui-même, cependant que son existence s’avère relative et constamment problématique. Si cette contradiction était purement théorique, si elle concernait seulement une question ou un objet abstraits, elle ne serait pas aussi fatidique ni tragique, l’homme pourrait la négliger et se tourner vers la vie et des intérêts vivants. Mais quand la contradiction se trouve au centre même de la conscience humaine, quand elle touche le moi humain lui-même et pénètre toutes ses force vivres, il n’y a pas moyen de l’éluder ni d’y échapper. Il faut accepter l’un des termes du dilemme: ou bien l’homme a véritablement cette valeur et ces droits absolus qu’il s’accorde dans sa conscience subjective intime – auquel cas il doit être également capable de réaliser cette valeur et ces droits –, ou bien, si l’homme n’est qu’un fait, qu’un phénomène relatif et limité, qui est aujourd’hui et peut n’être pas demain mais qui dans quelques dizaines d’années ne sera certainement plus, alors qu’il ne soit pas autre chose qu’un fait: un fait en soi n’est ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais, il n’est que naturel et contingent. Dans ce cas, l’homme n’a pas à aspirer à la vérité et au bien: ce ne sont que ces concepts conventionnels et, au fond, des paroles en l’air. Si l’homme n’est qu’un fait, s’il est inévitablement limité par le mécanisme de la réalité extérieure, il n’a pas à rechercher quoi que ce soit de supérieur à cette réalité naturelle; qu’il mange, boive et se réjouisse et, s’il n’est pas gai, il peut sans doute mettre à son existence factuelle une fin tout aussi factuelle.

Mais l’homme ne veut pas n’être qu’un fait ou un phénomène, et ce refus donne déjà à entendre qu’il n’est effectivement pas seulement un fait ni un phénomène, mais quelque chose de plus. En effet, que signifie un fait qui ne veut pas être fait et un phénomène qui ne veut pas être phénomène?»

Vladimir Soloviev, Leçons sur la divino-humanité, Cerf, 1991, pp. 31-32

La description très claire et concise de Soloviev délimite l’espace à l’intérieur duquel l’être humain définit sa place et son rôle dans le monde. Nulle part ailleurs la précarité de cette place n’apparaît de manière aussi évidente que dans le domaine de l’éthique; on le comprend aisément, puisque l’éthique se propose justement de situer l’action humaine et sa valeur dans cet espace flou qui s’ouvre entre les nécessités de la nature et les exigences morales de la culture, autrement dit entre le donné et le construit. Or, si la réalité du donné semble évidente, on ne sait trop dans quelle catégorie de la réalité classer le construit. Les extraits ci-dessous sont tirés d’un livre récemment paru, de Mark Hunyadi, philosophe et éthicien, qui examine avec beaucoup de pénétration les enjeux moraux liés au clonage, et qui débouche sur la découverte me semble-t-il nouvelle d’une qualité de présence à soi de la conscience:

«James Dewey Watson [classé parmi les plus grands esprits scientifiques du XXe siècle pour avoir, avec son collègue Francis Crick, découvert la structure de l’ADN en 1953] se déclare opposé à l’idée de toute régulation du génie génétique: “Je pense que nous devons nous tenir le plus possible à l’écart des règlements et des lois.” Mais c’est son argumentation qui est instructive, qui commence par écarter toute idée d’un caractère prétendument sacré du génome humain et, partant, toute idée de “droits” en ce domaine:

“C’est tout à fait absurde. Enfin, qui ou qu’est-ce qui décide du caractère sacré? L’évolution est parfois très cruelle! Nous ne pouvons pas prétendre avoir un génome parfait et lui attribuer un caractère sacré! Le mot “sacré” me fait penser aux droits des animaux. Qui a donné des droits aux chiens? Le mot “droit” est très dangereux. Nous avons déjà les droits de la femme, les droits de l’enfant, etc. C’est à n’en pas finir! J’aimerais cesser d’utiliser les mots “droits” ou “sacré” et les remplacer par “besoins”. Les humains ont des besoins, et ils doivent tenter d’y pourvoir en tant qu’espèce sociale. Essayer de donner à ces faits très simples un autre sens plus ou moins mystique, c’est bon pour Steven Spielberg ou des gens comme ça. C’est n’importe quoi! Ce sont des foutaises!”

On passera charitablement sur l’assimilation indue opérée entre ce qui est “sacré” et cet qui est parfait: de toute évidence, même ceux qui revendiquent le caractère sacré du génome humain, quoi qu’ils entendent par là (et je suis d’accord avec Watson pour récuser fermement cette expression), ne veulent pas tant parler de sa perfection que de son inviolabilité, ce qui est évidemment très différent: car il y a une foule de choses que l’on peut estimer inviolables sans pour autant les estimer parfaites. On pourrait en outre s’interroger sur l’exacte qualification de ce qui est ici précisément visé: l’immortalité, la perfection, ou, plus modestement, l’amélioration ou la guérison, qui sont autant de promesses des thérapies géniques – sont-ce là véritablement des besoins ou plutôt des désirs, et ont-elles en conséquence ce caractère impérieux de nécessité vitale que Watson pense pouvoir leur attribuer pour justifier sa propre recherche?»

Mark Hunyadi, Je est un clone - l’éthique à l’épreuve des biotechnologies, Seuil, 2004, pp 7-8

Hunyadi se réclame d’une vision constructiviste du monde, c’est-à-dire d’une vision où les principes directeurs, qui sont comme les axes de constructions du monde, ne proviennent pas d’un plan préétabli, ou extérieur au monde, comme le seraient les Idées platoniciennes, mais surgissent de l’acte de construction lui-même, comme des propriétés émergentes, acquérant leur propre capacité explicative, sans pour autant devenir autonomes ou indépendantes du monde qu’elles sont censées expliquer.

(...) «Si l’on adopte en éthique la position radicalement antiréaliste qui est la nôtre – selon laquelle toutes les propriétés morales qui articulent notre univers normatif sont des propriétés émergentes du monde humain, et non de propriétés idéales ayant une existence indépendante –, alors comment trouver des critères de légitimité qui pourraient freiner l’énergie constructiviste de l’intentionnalité morale humaine? Pouvons-nous faire tout ce que nous voulons, du simple fait que nous le voulons? Et, en l’occurrence, appliqué au cas de l’ingénierie génétique, pourquoi le constructivisme ne devrait-il pas s’assumer jusqu’au bout, et affirmer que, si le monde humain est une construction de l’homme, l’homme lui-même pourrait être, sans métaphore, construit? La réponse à ces questions cruciales a déjà été donnée: seul e contexte moral objectif peut à chaque fois nous fournir les critères de légitimité dont nous avons besoin. Le contexte moral objectif a été tissé, façonné par nos prédécesseurs, et il est ce dans quoi nous sommes dès toujours. Il est là, nous ne pouvons pas le transcender, même par la pensée, tout aussi peu que nous pouvons imaginer une couleur que nous n’avons jamais vue. Ne répondant à aucune nécessité préexistante, le contexte moral objectif n’en est pas moins notre horizon nécessaire. Se référer à lui comme source et ressource de nos critères de légitimité, ce ne’st pas, comme on le croit trop facilement (trop platoniciennement) se référer à quelque chose d’instable, de fluant, de remodelable à notre guise, et qu’il faudrait pour cette raison même renforcer par divers arguments de soutènement qui lui donneraient stabilité et consistance. Que le monde humain – le monde moral comme le monde matériel – soit un monde construit n’implique pas qu’il aurait pu être construit n’importe comment, ni qu’on puisse le reconstruire à notre gré; de même, que les systèmes complexes de règles qui le régissent soient des règles instituées, et en ce sens des conventions, n’implique nullement que ces règles soient arbitraires. Tout le monde s’accorde à dire qu’il est de pure convention de mesurer en mètres plutôt qu’en pieds; mais nous voyons bien en même temps qu’un arbitraire limité adhère à cette convention, car, eu égard au genre de choses que nous avons à mesurer dans notre monde, ces deux systèmes de mesure sont tout-à-fait comparables. C’est même pour cela qu’ils le sont: les deux sont adaptés à nos besoins, à notre environnement mesurable et au degré de précision qui y est requis. Il y a donc bien un sens important où ils ne sont pas arbitraires. Que nous refusions d’une manière générale de parler d’une nature humaine fixe ne veut en conséquence pas dire qu’il faille concevoir l’homme et son monde comme malléables à volonté.»
op. cit. pp. 69-70

Hunyadi considère ainsi que les principes moraux ne sont pas inscrits tels quels dans une nature humaine idéale, mais qu’ils résultent de la construction de l’homme par lui-même et par les événements, cette interaction vivante ayant fait de lui un être inscrit dans une histoire déterminée, et non pas idéale, et ayant façonné la civilisation particulière dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

«Ainsi le consensus négatif autour du clonage est-il à rapprocher structurellement de phénomènes comme le refus contemporain de l’esclavage ou du droit de vote censitaire; et cela non parce que le clonage représenterait une variante de l’esclavage honni ou un retour de privilèges abolis, mais parce que tous ces refis expriment sur des sujets divers la même réprobation morale, en tant qu’elle est chaque fois fondée sur des normes construites au cours du processus civilisationnel et à ce titre déposées dans le contexte moral objectif.»
op. cit. p. 71

«S’il autorisait le clonage, le droit ne pourrait faire plus que de reconnaître le clone comme une personne à part entière, et réprimer toute attitude discriminatoire à son égard, protégeant ses droits fondamentaux comme ceux de toute autre personne. Ce faisant, il agirait certes de façon juste et cohérente, mais manquerait néanmoins l’essentiel: car le clonage, créant des personnes dont la création même fait problème, oblige pour cette raison même à un exercice réflexif inédit de décentration, inaccessible à la position juridique, décentration qui consiste à adopter la perspective de la première personne, celle du cloné. Seule cette position, me semble-t-il, sera capable de fournir, le cas échéant, un argument de poids contre le clonage. Tant que l’on reste confiné à la position de la troisième personne, les arguments manquent de la base ontologique nécessaire pour évaluer la situation ontologique, précisément, que crée le possible clonage humain. C’est à la première personne seule qu’apparaît en effet un fardeau ontologique spécifique, celui de se savoir désiré à l’identique de quelqu’un d’autre par quelqu’un d’autre.»
op. cit. pp. 75-76

«Il sait qu’il n’est pas un enfant désiré, mais tel enfant projeté – au double sens de la projection du désir et de la planification dans le temps.»
op. cit. p. 75

(...) «Le problème n’est plus tant de comparer la personnalité de deux individus génétiquement identiques – comparaison qui se fait du point de vue d’un tiers –, que de se savoir avoir été voulu être copié à l’identique par un tiers, ce qui ne peut se vivre qu’en première personne. C’est ce savoir qui constitue le fardeau ontologique de la première personne, et il est bien étranger à la question de l’évaluation de l’identité entre l’original et la copie. C’est cette intrusion entre soi et soi de la volonté d’un tiers qui fait fondamentalement problème, en brisant à la racine la familiarité que chacun entretien naturellement avec soi-même.»
op. cit. pp. 78-79

«Du point de vue de la troisième personne – à l’exemple de parents qui observent leurs jumeaux –, l’altérité de deux êtres apparaît par comparaison sur la balance de l’idem, du même, telle qu’elle apparaît au point de vue de la troisième personne, précisément. Il s’agit là, si l’on veut, pour reprendre une typologie de fond ricoeurien, d’une altérité-idem, d’une altérité qui est mesurée à l’aune de l’identique telle qu’elle apparaît à un observateur extérieur. C’est ainsi que les parents distinguent sans hésitation leurs jumeaux, parce que, au-delà des similitudes de surface (l’idem), quelques traits pertinents qui leur apparaissent immédiatement les font émerger sans doute possible de l’indistinction du même. Appelons cette altérité-là l’altérité de l’autre, parce qu’elle compare entre eux selon une même mesure l’altérité d’êtres que l’on observe. Cette altérité de l’autre, c’est précisément celle-là même que nous garantissent les thèses désormais consensuelles sur l’importance des facteurs extragénétiques dans la constitution de soi, ces thèses qui affirment que l’identité du patrimoine génétique n’implique nullement l’identité des personnes. Cette altérité est sans doute réelle, mais là encore inessentielle.

Ma thèse est que, si le clonage préserve effectivement l’altérité de l’autre – au sens de jumeaux monozygotes qui sont autonomes et différents malgré l’identité de leur patrimoine génétique –, il abolit en revanche une autre forme d’altérité, plus radicale, l’altérité de soi qui fait que, dans les conditions normales de procréation qui ont été celles des humains à ce jour, l’on s’éprouve autre que les autres, du simple fait d’être né.»
op. cit. pp. 82-83

«L’autonomie entravée par le clonage [est] l’autonomie ontologique de l’individu qui surgit tel dans le monde non pas parce qu’il a été voulu tel, mais du simple fait qu’il y a surgi. Il s’agit de cette intégrité originaire – et, partant, du sentiment de cette intégrité – normalement garantie par un être-tel fondamentalement contingent parce que biologiquement aléatoire. Porter atteinte à cette intégrité-là, comprise comme altérité de soi, c’est amputer dans ses fondements ontologiques les plus intimes la personnalité à venir de celui ou celle qui, quoi qu’il lui arrive, aura légitimement le sentiment de ne pas le devoir entièrement à soi-même.

Il est remarquable par ailleurs que la biologie du clonage conjoigne ainsi dans un même complexe la réalité ontologique du moi et son expérience psychologique: car c’est bien parce que le moi se sait cloné – il se sait avoir été voulu à l’identique de quelqu’un d’autre, ce qui est sa réalité ontologique – qu’il se sent étranger, autre à lui-même, ce qui est une entrave psychologique sans doute rédhibitoire au déploiement entier de son autonomie. L’altérité de soi n’étant plus garantie, on se sent autre à soi-même. De même, symétriquement, c’est parce que nous autres, non clonés, nous nous savons le fruit aléatoire de ce qu’on appelle la loterie génétique – ce qui est l’un des traits saillants de notre ontologie biologique – que nous sommes, au moins de ce point de vue-là, en capacité psychologique d’exercer une autonomie, personne ne venant ici s’immiscer entre soi et soi. Nous avons l’assurance psychologique d’être autre, notre soi est garanti de son altérité – c’est l’altérité de soi. C’est donc en ce sens radical que l’on peut dire que l’aléatoire préserve l’altérité

op. cit. pp. 85-86

Cette notion de l’altérité à soi (se sentir autre à soi-même du fait de l'immiscion du désir d'un tiers entre soi et soi) est à ma connaissance nouvelle. Il est en tous cas certain qu’elle ne pouvait pas être pensée avant les réflexions, auparavant impensables mais aujourd’hui indispensables, sur le clonage humain. Hunyadi ajoute que cette altérité à soi est l’aliénation même. Il l’entend d’un point de vue psychologique et ontologique. C’est l’immiscion entre soi et sa propre origine, entre le moi manifesté et sa potentialité d’être, du désir d’un tiers. C’est l’intrusion dans l’espace d’inviolabilité au plus intime de soi, du désir d’un autre: c’est une forme de viol qui touche l’innocence avant même que celle-ci ne parvienne à la manifestation. La conscience, lorsqu’elle se découvre être et interroge sa propre origine, découvre en elle-même un intrus qui trouble son intimité. Elle n’est plus seule, en tête-à-tête avec l’entier du possible dont elle est issue: cet entier est amputé par l’autre, qui l’a déterminé et réduit selon son désir. Le viol qui en résulte n’est pas à prendre dans un sens absolu ou abstrait: il est tout-à-fait concret. La Personne n’a pas été respectée dans son inviolabilité, un désir étranger s’est introduit dans son intimité, elle s’est trouvée instrumentalisée au fin d’un désir extérieur à elle, exactement comme l’enfant violé est instrumentalisé par le violeur qui, faisant fi de son être et de sa nature, le subordonne à son propre désir. On ne peut que difficilement imaginer quelles en seront les conséquences pour ces futures victimes possibles.

Néanmoins, dans une perspective de l’éveil, il est bien clair que cela ne fera aucune différence: au même titre que toute forme de viol, sexuel ou narcissique, n’entrave en rien le chemin vers l’éveil, ce viol-là n’empêchera pas l’individu cloné d’accéder aux fondements de son être, car ils sont enracinés dans l’Être. L’aliénation à soi-même est inscrite dans la conscience humaine, pour chacun, cloné ou non cloné, et passe par une ligne de scission en amont de la conscience, en amont de toute intimité.
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joaquim
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MessagePosté le: Sa 29 Jan 2005 22:36    Sujet du message: Répondre en citant

En fait, en y réfléchissant mieux, cette altérité à soi n’est pas une notion nouvelle; ce qui est nouveau, c’est son extension, sa dimension non plus accidentelle, mais ontologique. Toute victime d’abus, depuis toujours, s’est retrouvée du fait de l’abus en porte-à-faux avec elle-même, dans une forme d’altérité à soi. L’abus, puisqu’il s’immisce dans l’intime, puisqu’il pénètre de force dans cet espace où la personne devrait rester seule avec elle-même, crée une rupture dans cet espace, dresse l’intime contre lui-même et verrouille le saccage qu’il a produit. En effet, la personne a honte de ce qu’elle a vécu, se reproche d’une manière ou d’une autre de ne pas avoir su y échapper, se sent salie par l’autre et trahie par elle-même dans ce qu’elle a de plus intime, et cherche à fuir, à oublier cet événement, en l’encapsulant si possible quelque part dans sa mémoire.

L’abus qu’engendre le clonage reproduit le même mécanisme, à ceci près que l’intrusion qu’il constitue ne se situe pas dans un événement particulier, mais gît à l’origine même de l’existence de l’individu; de plus, cet événement traumatique n’a jamais été vécu comme tel, et ne se trouve donc pas relégué dans un coin de la mémoire où on chercherait à l’oublier, mais il surgit brutalement en acte, comme une bombe à retardement, au moment même où l’individu s’interroge sur sa propre origine, et se trouve terrassé par la découverte du désir d’un tiers tapi depuis toujours en amont de lui-même, sans qu’il s’en soit jamais rendu compte. Il est difficile d’imaginer quel vertige saisira alors une telle personne; elle se sentira probablement salie par le désir de l’autre non seulement à la surface de son corps ou dans son intimité, mais dans sa chair même; non seulement dans ses souvenirs, mais dans sa conscience elle-même; l’existence même de son corps et de sa conscience pourra générer dégoût et honte. Cette extension absolue de la portée de l’abus est effrayante. La victime du clonage n’aura aucun recours pour échapper ou oublier la souillure qui la marque, sinon de s’oublier soi-même. Une vie “normale” ne lui sera pas permise: soit l’éveil, soit, comme le dit Hunyadi, l'aliénation même.
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