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Le cinéma de John Cassavetes

 
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Auteur Message
Pierre



Inscrit le: 22 Nov 2005
Messages: 113
Localisation: Toulouse

MessagePosté le: Lu 26 Mars 2007 0:00    Sujet du message: Le cinéma de John Cassavetes Répondre en citant

Le premier film de Cassavetes que j'ai vu était Opening Night. Je l'avais en stock depuis longtemps, j'avais lu des critiques dithyrambiques à son sujet, mais je n'avais guère accroché aux premières images, à la mauvaise qualité vidéo du DVD, à ce grain très seventies, et puis ces gens mal dans leur peau, difficile de rentrer dans leurs histoires ... bof bof bof. Ca marche parfois comme ça l'ouverture à de grandes oeuvres artistiques : le premier contact est peu enthousiasmant (Mahler m'avait fait un effet bof-bof similaire ). Alors je l'avais rangé dans sa boite et oublié.

Et puis vient un soir de flemme, vaguement oisif, " Si on se matait un film? ", "Ouais OK, qu'est-ce qu'on a ?", "Rien... ah si : y'a ça là, parait que c'est bien." Et nous voilà partis à suivre la douloureuse descente aux enfers de Myrtle (jouée par Gena Rowlands), une actrice de théâtre adulée qui perd complètement pied après qu'une de ses fans - une parfaite inconnue, très jeune - se fasse écraser sous ses yeux. Elle répéte une nouvelle pièce où elle doit jouer un personnage de femme vieillissante, et ce tragique accident dont elle est témoin déclenche un très profond mal-être.

Et là c'est la grosse claque ! Moins pendant le film qu'après d'ailleurs. Il y a des films que l'on regarde en se disant "Rhoo qu'est ce que c'est bien" et puis on les oublie huit jours plus tard. Ce film là, comme d'autres de Cassavetes (Femme sous influence, Husbands), on le regarde sans savoir qu'en penser. Et c'est très caractéristique du cinéma de Cassavetes. A aucun moment, dans aucune scène, on ne peut se dire "je suis en train de regarder un film qui parle de tel truc ", "les thèmes du film sont ça, ça et ça", ou, comme on l'apprend dans les classes de français " L'auteur a voulu dire que ... " Que quoi ? Qu'est ce qu'il a voulu dire l'auteur ? Rien, il n'a rien voulu dire l'auteur, il a voulu montrer, il a voulu donner à voir, donner à éprouver, à sentir. L'auteur n'est pas un de ces abominables tâcherons hollywoodiens qui confectionnent des films accompagnés d'un pool de scénaristes incapables d'unir leur créativité autrement que sous le régime de la synthèse soustractive et du consensus tiède, ni un de ces médiocre chef-de-projet-de-l'industrie-cinématographique qui ne se lance qu'après avoir consulté les plus récentes enquêtes statistiques sur les attentes du public et le dernier jeu complet et mis à jour de fiches techniques de tâcheron hollywoodien de base, " Fiche n°733 : Comment filmer une scène d'amour dans un film autorisé aux plus de douze ans ?", "Fiche n° 844 : Savoir remanier son scénario pour mieux atteindre ses objectifs de vente. ", "Fiche n° 1023 : La représentation de la vieillesse est elle nuisible en terme de rentabilité ?"

Cassavetes est un artiste. J'avais oublié que le cinéma était un art avant d'être une entreprise de divertissement. A trop manger de navet, on fini par oublier le goût de la carotte, comme disent les lapins. Ce n'est pas que ce soit beau, esthétique, ce n'est pas que ce soit original comme le sont les univers si personnels de Tim Burton ou de David Lynch. Non, c'est seulement vrai. Cassavetes filme le vrai. Il découpe des tranches de vie et vous les sert encore toutes vibrantes de vérité. Et pas une vérité transfigurée et magnifiée à la Amélie Poulain, mais une vérité tout ce qu'il y a de plus ordinaire, avec des gens qui parlent en même temps, qui sont un peu ridicules lorsqu'ils se mettent en colère, qui bafouillent lorsqu'ils ont trop bu, des gens qui savent si mal dire le malaise qui les habite, mais qui l'expriment avec une telle justesse, malgré eux, par des silences inattendus où des phrases prêtes à jaillir ne parviennent pas à se frayer un passage, par des insistances pesantes et superflues où ce qui compte n'est plus ce qui est dit, mais l'acte même de dire, de redire, de répéter, la même question, le même reproche, la même obsession. Et peu à peu se dessinent, en creux, toujours en creux, des personnages à la psychologie complexe, riche et surprenante, ambivalents, humains, profondément attachants et émouvants, en un mot, vrais.

Si je parle du cinéma de Cassavetes sur ce forum, c'est parce cette vérité que l'on découvre par l'éveil, cette vérité que l'on ne peut nommer parce que dès qu'on la nomme, on la réduit, on la trahit, on la tue, Cassavetes la filme. Mon égo de cinéphile s'est trouvé incapable de ronronner son bavardage habituel en regardant ce cinéma là. Cassavetes ne procéde pas par intention, ses scènes n'ont pas de fonction dramaturgique au sens habituel du terme, ses films ne délivrent pas de messages, ils n'expriment pas d'idées, et par conséquent son cinéma n'offre aucune prise aux commentaires, à l'opinion. Ces films sont très bavards, on y parle beaucoup, mais au final, c'est à nos coeurs qu'il s'adressent.
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joaquim
Administrateur


Inscrit le: 06 Août 2004
Messages: 1421
Localisation: Suisse

MessagePosté le: Lu 26 Mars 2007 0:47    Sujet du message: Répondre en citant

C’est vraiment un régal que de te lire, Pierre. Je ne connais pas Cassavetes réalisateur. Tu dis qu’on découvre à travers sa camera une réalité fragile, non trafiquée, qui nous explose à retardement à la figure, et je te crois volontiers, car le regard que tu nous prêtes pour nous le faire découvrir s’est fait, à l’instar du modèle qu’il décrit, transparent pour saisir dans ses replis les plus délicats cette réalité qui t’a touchée. Du coup, ce n’est pas tant Cassavetes qui me touche que la narration que tu en fais, et bien que ton but soit peut-être de nous donner envie de découvrir ses films, je suis pour l’instant prêt à me satisfaire de Pierre découvrant Cassavetes. Mais promis, je ferai un effort, dès que l’occasion s’en présentera. Wink
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